Le nouveau canevas
ou,
"Cette
fois-là, où Il vint pour de bon"
Luigi Alcide FUSANI

LE NOUVEAU CANEVAS by Luigi Alcide Fusani is licensed under a Creative Commons Attribuzione - Non commerciale - Non opere derivate 3.0 Unported License.
Traduction de Claude VALENZA
24 septembre 2011
Avertissement:
Même si le texte est entièrement écrit en italien,
il serait souhaitable que pendant que Primo
conserve l'usage de la langue académique, comme pour souligner sa soumission au
directeur du théâtre,
à l'inverse Secondo,
le Bouffon, parle de préférence en dialecte et n'utilise la langue académique,
seulement lorsqu'il veut se moquer de PRIMO[1],.
Prologue
PRIMO entre en scène, l'air plutôt embarrassé, tenant à la main un scénario
tout chiffonné.
Il porte des chaussures noires, plutôt grosses, avec des petites
chaussettes blanches, un pantalon noir qui laisse les chevilles découvertes,
une chemise blanche, col boutonné sans cravate, une petite veste noire étroite,
un chapeau-melon noir.
C'est le personnage-type de Beckett, son vêtement est rapiécé et
poussiéreux.
PRIMO:
Bonsoir…bonsoir cher public…
Je suis un peu embarrassé
parce que…
en fait… on avait annoncé un
spectacle de Commedia dell'arte…
et mon ami, et moi, nous aimons
beaucoup la Commedia dell'arte,
nous avons donné beaucoup de
spectacles de ce genre…
et donc, pour ce soir aussi,
nous avions préparé un de nos spectacles, librement inspiré des canevas du
XVIIème siècle…
Mais, lorsque nous sommes arrivés
cet après-midi,
le directeur du théâtre… nous
a dit qu'il en avait assez de voir sans arrêt de la Commedia dell'arte…
Qu'il était temps de faire
quelque chose de nouveau…
qu'au XXème siècle, il y a eu
des formes de théâtre bien plus importantes…
que la Commedia dell'arte.
Bref, il a dit qu'il voulait
du théâtre de l'absurde…
que personne ne joue jamais du
Samuel Beckett...
que Samuel Beckett a été le
plus grand auteur du XXème siècle
(A droite, de la coulisse, apparaît une chaussure blanche, la jambe d'un
pantalon blanc, et une main qui fait coucou).
…Je lui ai dit que nous
n'étions pas préparés pour ce genre de théâtre,
que nous n'avons jamais fait
celà…, que ce n'est pas dans notre répertoire…
Il a répondu que nous sommes
habitués à improviser…
qu'il nous suffisait de lire
une fois le texte et puis, qu'on pouvait y aller librement…
En somme, ou bien nous jouons
ce texte de Beckett ou bien, il rompt le contrat…
et, s'il rompt le contrat, mon
ami et moi, nous ne mangeons pas…
Alors… nous voici.
Regardez, comme j'ai du me déguiser.
(De la coulisse, apparaît un derrière blanc et une main qui fait coucou)
Il y a un problème, cependant …C'est
à propos de mon associé…
Comme c'est toujours moi qui
discute avec les organisateurs…
et qui m'occupe des contrats…
de la technique…
voilà…, dès que nous sommes
arrivés, mon associé est allé manger.
Je ne sais pas dans quelle
auberge il se sera enfilé et peut-être même qu'il aura trouvé une galante
compagnie…
Ici au théâtre, on ne l'a pas
encore vu, il arrive toujours au dernier moment,
Parce que lui, c'est un grand
artiste, génial et fantasque.
(A nouveau, de la coulisse à droite, apparaît la tête de SECONDO, vêtu
de bouffon, masqué (un demi-masque d'Arlequin); il fait des grimaces et agite
ses mains autour de sa tête),
Et donc… en somme… il ne sait
rien encore.
Il n'est pas au courant et je
ne sais même pas comment il va réagir, lorsqu'il découvrira cette situation…
(SECONDO s'aperçoit qu'il s'est passé quelque chose de bizarre… Il cesse
de faire des grimaces et avec circonspection, se place à côté de PRIMO, tête
basse, l'air contrit, ôte son masque, commence à réciter un rosaire en
grommelot, et il continuera à le réciter pendant toute la scène).
Comprendre la
situation...
PRIMO: D'où viens-tu ?
SECONDO: Je suis allé casser
la croûte…
PRIMO: Chaque fois qu'on a
besoin de toi, tu n'es jamais là…
SECONDO: je suis allé casser
la croûte !!!
PRIMO: Ici, c'est la panique, maintenant.
SECONDO: Quelqu'un est mort ?
PRIMO: Mais personne n'est
mort !
SECONDO: Non, allez, dis-moi
qui est mort…
PRIMO: Personne !!!
SECONDO: Et alors, pourquoi tu
me fais réciter le rosaire…, pourquoi
PRIMO: Mais je ne te fait
réciter aucun rosaire…
SECONDO: Regardes comme t'es
habillé…
PRIMO: Je suis habillé comme
ça, parce que je dois…
SECONDO: T'as trouvé du boulot
aux pompes funèbres ?
PRIMO: Quelles pompes funèbres
?…
SECONDO: Et alors, c'est quoi
cette tenue de croque-mort ?
PRIMO: (frappant le scénario du plat de la main), C'est çà.
Difficultés avec
les langues étrangères
SECONDO: (il prend le scénario) Cà...
(Il essaye de lire, rapproche et éloigne la feuille, la retourne…),
PRIMO: Allez, donne !
SECONDO: J'ai pas mes lunettes
PRIMO: Donne-moi çà
SECONDO: Non, non... je vais y
arriver...
"En attendant"...,
tu vois que j'y arrive..."attendant go-do…tt"
PRIMO: "En attendant
Godot".
SECONDO: Non, non…tu m'auras
pas… Là c'est écrit: "Go – do...tt"
PRIMO: D'accord… allez, pas de
polémiques inutiles…
si tu n'as pas étudié les
langues étrangères…, ce n'est pas ma faute.
SECONDO: Pourquoi, quelle
langue c'est, "Godo…tt" ?
PRIMO: C'est du français, mon
cher et en français, le "t" final ne se prononce pas…
SECONDO: Si on le prononce
pas, pourquoi qu'on l'écrit ?
PRIMO: Je ne sais pas. Lorsque
tu rencontreras un français tu lui demanderas… et lui, il te l'expliquera.
SECONDO: (s'adressant au public): Excusez, il y a un français dans la salle
qui puisse me l'expliquer ?
PRIMO: Pas maintenant !
SECONDO: (Au public): Bon… il y a un français dans la salle qui puisse me l'expliquer,
après ?
PRIMO: Ecoute, SECONDO; nous
devons nous dépêcher…
SECONDO: Nous dépêcher de
faire quoi ?
PRIMO: Cà…, c'est le nouveau
canevas et nous devons improviser dessus.
SECONDO: Ah, super ! Un
nouveau canevas… et qui l'a écrit ?
Goldoni ?..., Gozzi ?... J'y
suis !.., Andreini !
PRIMO: Lis.
SECONDO: Tu crois me mettre en
difficulté et me faire passer pour un nul devant le public ?
PRIMO: Non, je t'en prie, lis.
SECONDO: Je le lis… je le lis…
t'inquiètes pas. (gros effort de
concentration).
De toute façon, il y a déjà
une faute ici.
PRIMO: (il regarde lui aussi). Mais non, il n'y a aucune faute.
SECONDO: Et oui, au
contraire…, il manque un "e"…
PRIMO: … Il ne manque aucun "e"
SECONDO: écoutes bien:
"esse...a...emme...u...e…el"
Pour écrire Samuele, il manque un "e"…
Rappelles-toi, lorsque nous
sommes passés à Venise, au théâtre San Samuel"e"…
Là-bas, oui que c'était
juste…, là-bas, il y avait un "e"; ici, y en a pas.
PRIMO: Mais cet homme ne
s'appelle pas Samuele, il s'appelle Samuel…
Il est anglais, et même
irlandais.
SECONDO: Un
anglais-et-même-irlandais…, qui écrit des canevas de la Commedia dell'arte…,
Jamais entendu parler…
PRIMO: Ca arrive…
SECONDO: Un
anglais-et-même-irlandais… qui s'appelle Samuel…
Et qui écrit des canevas de la
Commedia dell'arte… Laisse-tomber!
Fais voir un peu comment
c'est, son nom de famille ?
Bé – e – çé – ka –e- deux t… BECKE !
PRIMO: On dit Beckett et
non BECKE…
Beckett. Il faut prononcer le "t" final.
C'est de l'anglais et même de l'irlandais.
SECONDO: Non, n'essayes pas de
m'avoir. Avant, lorsque c'était écrit Godot, le "t", y se prononçait
pas parce que c'était du français.
Maintenant que c'est écrit
Beckett, le "t" se prononce parce que c'est de l'anglais et même de
l'irlandais.
PRIMO: Moi je ne trompe
personne… c'est toi qui n'as pas étudié les langues étrangères.
SECONDO: (Au public) Excusez… il y a un anglais-et-même-irlandais dans la salle,
qui peut m'expliquer ce que c'est que cette bizarrerie des "t" ?
PRIMO: Après !
SECONDO: (Au public) Bon. Faites excuse…, il y a dans la salle un
anglais-et-même-irlandais, qui "après" puisse m'expliquer ce que
c'est que cette bizarrerie des "t" finaux, qui se lisent ou ne se
lisent pas, lorsqu'il le dit, lui ?
Et puis, excuse-moi, mais
qu'est-ce que c'est que toute cette salade…
Qu'est-ce qu'on a à faire
nous, d'un anglais-et-même-irlandais, qui s'appelle Samuele sans le
"e", Becke"tt" avec le double t en
anglais-et-même-irlandais, qui se prononce
et qui écrit un canevas de la
Commedia dell'arte,
qui s'intitule "En
attendant Godo"t" avec le t en français, qui ne prononce pas ?
qu'est-ce qu'on a à voir
là-dedans?
Je peux demander au public
s'il y a dans la salle un français-anglais-et-même-irlandais, qui puisse
m'expliquer "après", tout ce mystère ?..,
que même si Agatha Christie
elle l'avait connu, elle en aurait fait un polar qu'elle n'aurait même pas
réussi à résoudre, elle-même.
Un raisonnement
convainquant
PRIMO: Bon... Demain, tu y
penseras demain.
Maintenant, nous devons nous
mettre au travail, parce que si nous ne jouons pas ce canevas,
le directeur du théâtre se
fâche et si, le directeur du théâtre se fâche,
il ne nous fait plus
travailler dans ce théâtre
et nous ne pourrons plus voir
ce merveilleux public
et nous ne pourrons plus
recevoir tout plein de merveilleux applaudissements,
et ce qui est pire, c'est que
le directeur du théâtre ne nous donnera pas un sou
et si le directeur du théâtre
ne donne pas un sou,
nous, ce soir, nous ne
pourrons pas payer le restaurant
et si nous ne pouvons pas
payer le restaurant,
le patron du restaurant ne
nous donnera même pas un, bout de pain
SECONDO: Quel radin !
PRIMO: Et il ne nous donnera
même pas un verre de vin à boire,
SECONDO: Malheur !
PRIMO: Et si nous ne mangeons
même pas un morceau de pain et si nous ne buvons même pas un verre de vin, ce
soir nous irons nous coucher sans dîner mais avec une grande faim…
" grande, grande"
faim… "grande, grande, grande " faim… tu comprends ce que je veux
dire?
SECONDO: grande-grande, deux
fois ou grande-grande-grande, trois fois ?
PRIMO: grande-grande, que tu
ne réussiras même pas à fermer l'œil, de la nuit,
et si des fois, tu pouvais y
parvenir,
…tu rêverais du jambon, du
saucisson, de la mortadelle - que les autres auront mangé.
SECONDO: Bande d'affamés!
PRIMO: …des spaghetti - que
les autres auront mangé
SECONDO: La honte !
PRIMO: …du poulet rôti – que
les autres auront mangé
SECONDO: Egoïstes !
PRIMO: …des petites pommes de
terre en accompagnement – que les autres auront mangé
SECONDO: les chiens!
PRIMO: …Des verres de vin –
que les autres auront bu
SECONDO: Poivrots !
PRIMO: le raisin, les oranges,
les ananas…
SECONDO: Non, pas les ananas,
non…
PRIMO: Oui, les ananas aussi,
oui ! Les ananas - – que les autres auront mangés
SECONDO: (se tenant le
ventre): Tu m'as touché au cœur
PRIMO: et aussi à l'estomac,
si je ne me trompe
SECONDO: Cœur, foie, estomac,
boyaux… tout, tu m'as tout touché.
Lâche, tu tues un homme
affamé.
PRIMO: Alors, tu es prêt à
commencer ?
SECONDO: Allez, bon… écoutons
ce canevas.
Nouveau canevas,
nouveaux personnages
PRIMO: Voilà... (Il ouvre le canevas), donc…avant tout,
les noms...
Toi, tu es Estragon... et moi,
moi je serai Vladimir… d'accord ?
SECONDO: Très bien ! Assez de
ces vieux noms, les Arlequin, les Briguelle, les Zanni, Les Lindor…
PRIMO: Oui, assez.
SECONDO: Oui, oui, je suis
d'accord moi aussi, assez d'Arlequin, de vieilleries, qui allaient bien aux
temps de Goldoni… assez, assez… je serai Estragon… très beau… Estragon!..
Bonsoir Mademoiselle…comment allez-vous ?.. Je suis Estragon…Monsieur…, mieux… le
Docteur Estragon… trois fois diplômé… médecine…philosophie et ingénierie…
Rigoles pas!…Que c'est beau… que c'est beau!
J'aime Estragon.
Tu vas au restaurant…, tu dis:
"bonjour, je suis, Zanni…", et on t'envoie à la cuisine, faire la
vaisselle… Si au contraire, tu dis: "Bonjour, je suis l'ingénieur
Estragon,"… (Polémique)
On te donne tout de suite la
meilleure table.
PRIMO: Exactement.
SECONDO: Si au contraire, tu
vas toi au restaurant, et tu dis: "bonjour, je suis Vladimir"…, ils croisent
les doigts et te jettent dehors, parce que là-bas, personne n'est encore mort
et ils ne veulent personne qui porte malheur.
PRIMO: Je ne porte pas malheur.
SECONDO: … Il ne te manque que
les lunettes noires…
Tiens…, tu ressembles à Totò,
dans "Le Permis "de Pirandello…
PRIMO: Parce que toi, tu es
beau…, vêtu en infirmier de l'hôpital Gemmelli...
SECONDO: (ironique) Bien sur que je suis beau. Regarde quel beau petit cul.
(S'adressant à un spectateur) Eh Monsieur… je m'adressais à la
demoiselle… pas à vous…
N'allez pas vous imaginer des
choses…Vous faites pas d'illusions… hein!
PRIMO: Mais qu'est-ce que tu
racontes; tu te mets aussi à insulter les spectateurs maintenant?
SECONDO: Fais pas le malin,
toi… De toute façon, l'autre me regardait, moi…
PRIMO: Que tu es bête… (Au monsieur, dans la salle), Ne lui en
veuillez pas… excusez-le…
C'est un acteur de la Commedia
dell'arte... Un individu sans aucune dignité…
Il serait prêt à dire
n'importe quoi pour faire rire le public… ne lui en veuillez pas…
Allez, maintenant ca suffit.
Nous devons travailler.
SECONDO: Dommage. Mais on fait
comment à travailler, s'il y a même pas de mise en scène…
Questions de
mise en scène, vieux canevas, mangeailles et coups de bâton.
PRIMO: Pas besoin de mise en
scène…
SECONDO: Comment çà, pas
besoin ?
PRIMO: Je te dis qu'il n'y en
a pas besoin…
SECONDO: Comment ? Pas même
une petite place à Venise,
Avec la maison de la
demoiselle Rosaura là-bas à droite,
accoudée au balcon du premier
étage, qui te fait plein de manières, à toi,
qui es Don Vladimir, qui fait
l'amoureux transi, amoureux fou,
et qui habites dans la maison,
là à gauche, et qui n'a pas le moindre sou vaillant,
et qu'à cause de cela, son
père, qui habite toujours là au rez-de-chaussée,
ne veut même pas que tu lui
adresses la parole à la demoiselle Rosaura…
Et ce vieux décrépit est
toujours là-dessous,
à surveiller que tu t'approches
pas trop de la fenêtre de sa fille
et un jour que tu es là sous
la fenêtre de la demoiselle Rosaura,
et que tu ne te rends compte
de rien, parce que tu es un peu idiot,
alors lui, ce vieux maudit,
avec un autre vieux maudit,
qui veut "lui",
épouser la belle et jeune demoiselle Rosaura,
et qui a dit à son père de la
demoiselle, que lui, la Rosaura, il l''épouse même sans dot,
et même qu'il est aussi
disposé à donner une belle somme au père de la demoiselle Rosaura,
parce que de toute façon, il
est veuf et n'a pas d'enfants,
et alors, ils appellent dix
gibiers de potence, armés de fouets, de bâtons, de couteaux, de gourdins, t'attrapent
et te flaquent une belle raclée…
PRIMO: C'est pour moi ce qui
est écrit dans toutes les pièces que nous jouons;
Je dois prendre une volée de
coups.
SECONDO: Mais certainement.
Quand tu les reçois, le public s'amuse toujours beaucoup…
PRIMO: Ben voyons!
SECONDO: Rappelles-toi,
lorsque nous jouions Molière… tu étais enfermé dans un sac,
et moi, je te donnais une
volée de coups de gourdin… et toi tu encaissais… et moi j'y allais… et toi tu
encaissais…
PRIMO: C'était rigolo, hein !
SECONDO: Eux, eux… le public…
Eux, ils sont un peu salauds…
PRIMO: Eux ils sont salauds… Toi,
non!
SECONDO: Oui, oui… Eux… pas
moi… moi je le fais seulement par devoir… et même…
Je suis vraiment désolé,
regardes…. Je le jure… et puis j'arrive, moi… da da dan…,
J'arrive juste de l'auberge
qui est là, en face,
où je viens à peine de manger
douze tranches de saucisson de Vérone,
dans un joli morceau de pain
de Mantoue,
avec un bon verre de vin de
Brescia,… pour ne faire de tort à personne,
c'était seulement un petit
en-cas, juste pour stimuler l'appétit…
puis j'ai mangé un paquet de
polenta de Bergame, avec vingt-quatre cailles dessus,
juste pour rester léger parce
qu'après je devais manger le deuxième plat
et en effet, ensuite comme
deuxième plat, j'ai mangé deux paupiettes de porc avec du choux rouge,
une côtelette de bœuf, avec du
choux blanc,
un gigot d'agneau avec des
pommes de terre,
du blanc de poulet avec de la
salade de Trévise,
et un ragoût de cerf de
Hongrie avec de la choucroute,
parce que tu sais que je suis
un grand démocrate, et qu'à table je ne fais aucune différence de race et de
religion,
puis, comme toute cette
viande, c'est pas bon pour mon cholestérol,
j'ai mangé une demi-tarte en
pain d'Espagne,
une douzaine de profiteroles,
un quart de strudel et une
belle tranche de panettone
parce que nous, les italiens,
même pour les gâteaux, nous n'avons rien à envier aux autres peuples…
puis, je ne pouvais pas
refuser une belle tranche de pastèque rouge de Sicile,
une grappe de raisin d'Alep,
et une pomme de la vallée de Non,
Café, café arrosé et grappa…
PRIMO: Tu as fini ?
SECONDO: Quel ingrat… et moi,
qui pour venir te sauver, j'ai même pas pris un limoncello
PRIMO: Le pauvre…
SECONDO: Oui, parce que nous,
les gens élégants…
PRIMO: Ho…, descends de ton
arbre… gens élégants…
SECONDO: Oui parce que… NOUS…
les gens élégants
Si nous ne buvons pas de
li-mon-cell-llo à la fin du repas,
il nous semble n'avoir rien
mangé, et nous avons de grosses difficultés à digérer…
et moi, j'ai sauté le
limoncello pour venir te sauver, toi
juste au moment où ils étaient
en train de te massacrer de coups,
et tout seul, j'ai chassé
cette vingtaine de sales types, de gibiers de potence…
PRIMO: Mais ils n'étaient même
pas dix.
SECONDO: Y en avait d'autres
qui étaient arrivés.
PRIMO: (polémique) Ah… alors, merci.
SECONDO: Et puis… moi… je ramassais
par terre une petite chaine avec la moitié d'une médaille, que tu avais perdue
et que l'autre moitié, c'était lui qui l'avait,
ce vieux porc, qui voulait se
marier la demoiselle Rosaura,
et alors lui a compris que tu
étais le fils…
qu'il croyait que tu étais
mort vingt ans auparavant, dans un naufrage,
et alors, dans la joie des
retrouvailles,
il te reconnaissait tout de
suite devant notaire, comme fils et légataire universel,
il renonçait au mariage, il
mourait… d'un infarctus, à cause de l'émotion,
et toi… unique héritier, grâce
à moi, tu pouvais épouser la belle demoiselle Rosaura.
Une belle
histoire, hein ?
Tout ce
qui n'y est pas.
PRIMO: Oui, l'histoire sera
sans doute jolie
mais nous, nous devons mettre
en scène ce canevas-là
et ce canevas-là ne se déroule
pas à Venise.
SECONDO: A Padoue ?
PRIMO: Non
SECONDO: à Vérone ?
PRIMO: Non
SECONDO: à Vicenza ?
PRIMO: Non
SECONDO:à Ferrare?
PRIMO: Non
SECONDO: à Milan ? à Gênes ? à
Florence ? à Rome ?
Quelle ballade! Arrête-moi
avant que j'arrive à Siracuse, ou bien je vais finir en Afrique…
PRIMO: Il n'y a pas de Venise ni
de Vérone ni de Milan ni de Florence…
Il n'y a aucune ville… il n'y
a pas de Rosaura… Il n'y a pas de vieil avare…
Il n'y a ni maison à droite ni
maison à gauche…
SECONDO: Mais une auberge,
oui!
PRIMO: Non! Il n'y a même pas
une auberge.
SECONDO: Et alors, moi je laisse
les gibiers de potence, te rouer de coups.
PRIMO: Il n'y a même pas de
gibiers de potence.
SECONDO: (polémique) Quelle belle histoire !
PRIMO: Il n'y a rien. On n'a
besoin de rien !
Le canevas se déroule sur une
route de campagne où il y a seulement un arbre…
SECONDO: Une route de
campagne, d'où l'on voit Bergame au loin…?
PRIMO: Ni Bergame, ni Brescia...
SECONDO: Trévise ?
PRIMO: On ne voit aucune ville
nulle part, on n'entend aucun bruit.
Il y a seulement une route de
campagne et un arbre. Un point c'est tout.
SECONDO: Super!… Une route de
campagne et un arbre…
On va appeler Margherita Palli…
En espérant qu'elle ne soit
pas retenue à la Scala avec Ronconi pour la mise en scène d'Aida…
Autrement, je ne sais pas
comment nous allons arriver à faire "une route de campagne… un
arbre…"
PRIMO: Nous allons l'imaginer.
Nous l'imaginons ici même, tu vois ?
Ca part d'ici et ça va jusque
là… D'accord ?
SECONDO: Daccord ! D'accord...
route de campagne... arbre !
Et on ne voit aucune ville,
nulle part… On n'entend aucun bruit…
Aucun petit oiseau…
PRIMO: Aucun !
SECONDO: aucune vache…
PRIMO: Aucune !
SECONDO: Aucun facteur...
PRIMO: Aucun !
SECONDO: Aucune petite
lavandière…qui lave des mouchoirs… pour les pauvres…
PRIMO: Aucune !
SECONDO: Aucune. Seulement une
route de campagne, un arbre, un point,
c'est tout…
Mais... mais cette route…elle
conduit où?
PRIMO: On ne le sait pas.
SECONDO: Elle conduira au
moins à Rome !
PRIMO: Pourquoi ?
SECONDO: Parce que toutes les
routes mènent à Rome !
Et puis, parce que moi, j'ai
besoin de savoir.
PRIMO: Il n'y a pas besoin de
savoir…
SECONDO: Et oui, au contraire…
c'est nécessaire…… méthode Strasberg… “Actor's Studio”…
Ca me sert pour la reviviscence.
PRIMO: Ne fais pas le bouffon.
Il y a ici des gens qui ont payé leur place !
SECONDO: Bien. Eux ils ont
payé leur place et moi, qui suis un professionnel,
qui vient de l'Actor's Studio…
je joue avec la reviviscence.
PRIMO: Et tu fais comment, à
jouer avec la reviviscence ?
SECONDO: Je me concentre à
fond. Je me concentre-me concentre- me concentre,
et je me rappelle de cette
fois-là, que nous sommes allés à Rome
et que nous avons mangé chez
Pasterellaro…humm… ces bucatini "all'amaticiana".
Une route de
campagne et un arbre
PRIMO: Alors, écoutes maintenant toi…, toi…, avec
ta reviviscence,
imagines que tu es sur une route de campagne, qui
part d'ici et monte là-haut,
qu'il n'y a personne alentours, qu'il n'y a rien à
manger…
Il y a seulement une route, et un arbre, un point
c'est tout… d'accord ?
Bien! bien… tu m'as compris ?
SECONDO: Très bien… je l'imagine parfaitement…
Ouh… Bon Dieu… que de cailloux…
Il faut faire attention à ne pas glisser avec
toute cette boue…
Parce que si tu tombes et que tu te heurtes la
tête… tu peux aussi y rester…
Ce que je ne vois pas bien, c'est l'arbre… Il est
où ?..
PRIMO: Il est là.
SECONDO: Quel bel arbre. Qu'est-ce que c'est, un
pommier plein de pommes rouges ?
PRIMO: Non, on est en hiver, les feuilles ont
séché et elles sont tombées
et il n'y a pas de fruits.
SECONDO: alors c'est facile… pour faire un arbre,
on prend le balai qui est là près des toilettes et
on le plante au milieu … là…
PRIMO: Bravo, excellente idée, prends-le, on le
met là et ça fait un arbre.
(SECONDO va
prendre le balai, et le tient à l'envers, au milieu de la scène…)
SECONDO: C'est bon comme çà ?
PRIMO: Parfait !
SECONDO: (il
le déplace d'un mètre) C'est pas mieux, ici ?
PRIMO: C'est pareil !
SECONDO: Et non !là-bas, il était trop près du
bord de la route.
Si jamais un paysan arrive avec son tracteur,… il
ne pourra pas passer…
Et nous nous devrons faire tout le spectacle avec
le tracteur au milieu…
Et le paysan qui rouspète en patois,
Holà
regarde un peu çà! R'gardes c'bordel…
vise un peu c'te bande de guignols
Putain
de cochons, vindiou! Attendez que
j'aille chercher le gars Bossi, tas d'peigne-cul!
Et même qu'il n'arrête pas son moteur et qu'il
fait un bruit et une telle puanteur
que ces gens ne reviennent plus au théâtre pendant
les dix prochaines années
PRIMO: C'est bon, alors mets-le là-bas.
SECONDO: (au
balai) C'est bon, alors toi, tu reste ici.
(Il laisse
le balai, qui tombe, PRIMO se retourne, en colère) Il ne tient pas tout
seul !
PRIMO: Mais tiens-le toi… Comment veux-tu qu'un
balai tienne debout tout seul.
SECONDO: je ne sais pas… mais je ne peux tout de
même pas rester là pendant tout le spectacle, à tenir le balai !
PRIMO: Alors tu sais ce que tu vas faire ?..
prends la chaise qui est là-bas, près de la loge
là où il y avait le balai… amènes-la ici et prends aussi un morceau de corde,
on va attacher le balai à la chaise et ainsi, il
restera debout tout seul…
(SECONDO
s'exécute, apporte la chaise et un rouleau de ficelle, manifestement trop long)
Mais qu'est-ce que c'est que cette corde… on ne
doit tout de même pas aller en bateau à voile…
SECONDO: il n'y avait que çà. Allez, aide-moi…
(ils tentent
de lier le balai à la chaise…
en
réalité, SECONDO essaye d'attacher aussi PRIMO qui s'énerve de plus en plus)
PRIMO: Voilà, et maintenant nous allons aborder la
mise en scène…
SECONDO: Message de service pour Madame Margherita
Palli…
L'amie de Ronconi... " Regardes et
apprends" ! J'ai tout dit (SECONDO
s'assoit sur la chaise)
PRIMO: Allez, viens ici… nous devons encore tout
préparer !
SECONDO: Je ne peux même pas me reposer un moment
?
PRIMO: mais nous n'avons pas encore commencé…
(SECONDO se lève et va près de PRIMO)
Scène I
PRIMO: Alors "scène Un" tu es assis ici
et tu essayes d'ôter une chaussure…
SECONDO: Excuse-moi mais j'étais assis là-bas … je
ne pouvais pas enlever ma chaussure en étant là-bas ?...
PRIMO: Non, le canevas dit que tu es ici, assis
sur cette pierre…
SECONDO: Non, désolé, moi, sur cette pierre je ne
m'assois pas…
PRIMO: Expliques-moi pourquoi, tu ne dois pas être
assis sur cette pierre ?
SECONDO: Elle a une forme qui ne me plait pas…
PRIMO: mais elle n'a aucune forme… Nous ne faisons
que l'imaginer…
Nous lui donnons la forme que nous voulons…
SECONDO: Moi j'ai imaginé une forme qui ne me
plait pas…
PRIMO: Quelle forme as-tu imaginé ?
SECONDO: Une forme pointue… une forme très
pénétrante… (vilain geste)
PRIMO: Quelle finesse… tu espère amuser le public
avec ces sorties?…
SECONDO: Ben… Y
en a un qui a ri.
PRIMO: Bravo… Mais tu ne sais donc pas que ces vannes à deux
sous
ont été la ruine de la commedia dell'arte…
SECONDO: et la fortune de ceux de Zelig…
PRIMO: Allez ça suffit… Arrête avec ces plaisanteries…
Nous avons un canevas à mettre en scène et nous
n'avons encore rien fait...
SECONDO: Bon, ça va… racontes-moi ce canevas et essayons
de sauver la soirée.
D'abord: pourquoi, moi je dois rester là, assis et
ôter ma chaussure…
PRIMO: parce que tu as mal au pied… et ensuite:
Tu n'as rien d'autre à faire… tu as le temps… tu
dois seulement attendre… tu enlèves une chaussure.
SECONDO (s'adressant
le public) Comme j'aime quand il raisonne comme çà… lucide… synthétique…
rationnel…
On dirait du Pythagore… Même mieux que Pythagore:
Schopenhauer…
PRIMO: Quelles âneries… Pythagore… Schopenhauer…
Tais-toi, e tu ne sais même pas ce que tu dis…
SECONDO: D'accord… continues de me faire passer
pour un idiot devant le public…
Moi, je ne sais pas les langues étrangères… Moi je
n'ai pas étudié de philosophie…
(au public)
… avant qu'il ne vous le dise… moi je ne sais même rien de la physique…
et encore moins de la "sémiologie"… je
ne connais pas… la sémiologie…
Je ne sais même pas de quoi ça parle… voilà !
C'est bon… tu es content maintenant… tu es
content… (il pleure presque)
Sachez, cher public… qui avez payé le billet… le
petit monsieur, là… l'intellectuel… voilà…
Il travaille avec un ignorant… un, qui ne connaît
pas les langues étrangères…
un qui ne comprend pas le théâtre de
Becke"tt"…
PRIMO: Arrêtes avec cette scène pathétique…
SECONDO: Oui, assez, assez… de toute façon c'est
toujours moi qui ai droit aux humiliations…
PRIMO: c'est pour faire rire le public… Ca lui
plait beaucoup… ils rient…
(a parte)
c'est vrai qu'ils sont un peu salauds… mais que veux-tu
"Ris donc paillasse… les gens PAIENT et
veulent rire"…
SECONDO: C'est bon… laisse tomber… (il essuie une larme)… Parles-moi un peu
du sujet…
PRIMO: Allez, ne le prends pas mal…
SECONDO: Allez, allez, raconte…
L'intrigue
PRIMO: … Donc… Donc…
Alors… nous… Vladimir et Estragon… nous sommes là…
"une route de campagne et un arbre…"…
SECONDO: Jusque-là, ça va…
PRIMO: Et pendant que nous attendons… nous
parlons… Nous nous occupons…
SECONDO: Nous attendons qui ?
PRIMO: Godot… le type du titre…
SECONDO: Ah oui… très juste… et il arrive quand ?
PRIMO: Il doit arriver ce soir… à la fin du
spectacle…
SECONDO: …Ensuite on va manger tous ensemble à
l'auberge, derrière le théâtre…
PRIMO: Non ! Non… non, parce qu'au lieu que ce
soit lui qui arrive…
C'est un gamin qui arrive… qui apporte un message…
de la part de Godot…
qui dit qu'il ne peut pas venir ce soir… mais
qu'il viendra certainement, demain…
SECONDO: (à
mi-voix, sur un ton complice)… si nous savons déjà qu'il ne viendra pas ce
soir… pourquoi ne pas l'embobiner… nous viendrons l'attendre demain… et nous
allons manger tout de suite…
PRIMO: Mais non ! Parce que lui, il n'arrivera
même pas demain…
SECONDO: Comment non ? Il a dit qu'il arriverait
demain…
PRIMO: Tu ne comprends pas ? C'est le drame
existentiel de l'homme…
Qui attend toujours quelque chose… quelque chose
de beau de la vie…
Il attend toujours demain… c'est cet espoir qui
aide l'homme à vivre…
SECONDO: … … J'ai bien fait de ne pas étudier la
philosophie…
PRIMO: Que tu es stupide et superficiel… C'est le
drame existentiel de l'homme…
SECONDO: …Je suis sans doute idiot et
superficiel..
Mai moi, j'ai plus à cœur le drame alimentaire de
l'homme… Quand est-ce qu'on mange ?
PRIMO: On ne mange pas…
SECONDO: Ce spectacle, ne me plaît vraiment pas, à
moi !
PRIMO: Ce n'est pas possible…
SECONDO: Comment, c'est pas possible !..
Toi et moi nous sommes là… dans un endroit qu'on
ne sait même pas où il se trouve,
en plein milieu d'une campagne, avec un arbre,
appuyé à une chaise…
Je dois ôter une chaussure parce j'ai mal au pied…
Et de toute façon je n'ai rien d'autre à faire…
Nous sommes là, à attendre quelqu'un qui n'arrivera
ni aujourd'hui ni demain ni jamais…
On ne mange pas… Quel beau spectacle…
PRIMO: Mais le beau est dans l'espérance… lorsque
Godot arrivera… il nous emmènera chez lui… nous dormirons chez lui… au chaud…
au sec… sur la paille…
SECONDO: Sur la paille ?... Quel luxe…
PRIMO: C'est mieux que de dormir ici… dans la
boue… dans le froid…
Au risque de se faire attaquer par une bande de
nazillons
Qui rôdent la nuit dans ces parages…
SECONDO: je répète ! Ce spectacle ne me plaît
vraiment pas du tout !
PRIMO: Ce n'est pas possible … ce texte contient
un tas de phrases très intenses… ce texte est pour nous l'occasion de démontrer
ce que nous valons en tant qu'acteurs…
de vrais acteurs dramatiques (regard perplexe de SECONDO…) écoute…
"ils accouchent à cheval sur une tombe…
Le jour resplendit un moment…
Et puis, à nouveau, c'est la nuit…"
C'est beau, hein ?
SECONDO: Très beau… C'est quoi?… Le slogan de la
foire à l'optimisme ?
"Ils accouchent à cheval sur une tombe…"
C'est-à-dire… Une femme doit accoucher… elle a un
doute… qu'est-ce que je fais… Je vais à la clinique ?... Je vais à l'hôpital
(Fatebenefratelli) ?.. Mais non.., quelle banalité…
Innovons… soyons originale…
Je vais au cimetière… il y a là la tombe de la
grand-mère…et zac ! Je te le ponds là…
Sans tra-la-la… et même que le nourrisson, au
moins, il comprend tout de suite à quel endroit finira sa vie… au cimetière…
Et peut-être s'il est intelligent, il se suicidera
immédiatement…
Regarde… il se pend tout seul avec son cordon
ombilical
Comme çà… en quatre-et-quatre-huit… c'est fait et
bien fait…
De toute façon, "le jour resplendit un
moment…"
… tu n'as même pas le temps de mettre tes lunettes
de soleil…
Que déjà " c'est à nouveau la nuit"?
Et à ce que j'ai compris… tu vois pas que ce grand
sympathique, là… "le Samuel",
Il nous emmène ensuite la nuit dans une
discothèque…
PRIMO: Mais certainement pas…
SECONDO: Eh… Tu croyais…
PRIMO: Non… pas de discothèque… quand vient
l'obscurité…
La lune se lève… et dans le ciel se diffuse une
lueur argentée
SECONDO: Joli… Joli, la lueur argentée… Ca me
plaît…
Moi qui suis si romantique…
PRIMO: Heureusement que tu commences à apprécier
quelque chose…
SECONDO: Plutôt que de commencer à apprécier
quelque chose…
Je commence à apprécier quelqu'un…
Coup de foudre et amour
PRIMO: Je ne comprends pas…
SECONDO: Regarde cette demoiselle… tu vois
celle-là, là-bas… charmante… élégante…
celle qui sourit… regarde comme elle rougit… je la
regarde depuis le début de la soirée…
Je crois… (timide)
qu'en moins de cinq minutes…
Je serai complètement amoureux d'elle…
PRIMO: Comme tu es bête… tu ne vois pas qu'elle
est venue avec son fiancé…
(à la
demoiselle) soyez indulgente, excusez-le…
SECONDO: Excusez… qui ? Et puis, c'est qui le
fiancé ?..
PRIMO: Celui qui est assis à côté d'elle
SECONDO: Ce vilain… cet affreux…ce vieux… ce pelé…
cet antipathique…
avec cette figure que chez lui, son miroir a honte
chaque fois qu'il s'y regarde…
PRIMO: Mais non, ce n'est pas vrai…
SECONDO: Et oui, au contraire… Il y a un miroir
chez lui, qui chaque fois qu'il s'y regarde, lui dit " t'as pas honte …
comment tu fais à sortir avec cette tête-là… la chirurgie plastique, c'est pas
pour les chiens…"
PRIMO: Ce n'est pas vrai…
SECONDO: Parfaitement, que c'est vrai… et puis, je
ne peux pas croire que ce type est le fiancé de la demoiselle
PRIMO: Mademoiselle, dites- le lui, vous…
SECONDO: Peut-être avant… mais maintenant qu'elle
m'a vu…
(Lyrique)
maintenant, un nouvel amour est né…
Maintenant, la demoiselle et moi, nous affronterons
une nouvelle vie ensemble…
Tu l'as dit toi-même "la lune se lève… et
dans le ciel se diffuse une clarté argentée…"
deux êtres, ignorants de tout ce qui se passe dans
le reste du monde, marchent…
Une route de campagne… un arbre…
Et déjà dans le cœur de la nuit, une nouvelle aube
commence à poindre…
Hein? C'est qui le poète, moi ou ton ami
"Becke'tt"?..
PRIMO: Ecoute… sois gentil… Godot n'est pas arrivé
"La lune se lève… dans le ciel, une lueur
argentée se diffuse…"
… toi et moi… sur la route de campagne, nous
attendons…"
Et nous espérons d'être toujours vivants lorsque
le nouveau jour poindra.
SECONDO: Et la demoiselle ?
PRIMO: Elle rentre chez elle en compagnie de son
fiancé.
SECONDO: C'aurait pu être une très belle histoire
d'amour.
PRIMO: Peut-être
Plans d'actions
SECONDO: Et au contraire… Toi et moi, seuls dans
ce foutu endroit…
Toujours là, à attendre quelqu'un qui n'arrivera
jamais… jour et nuit…
pas de fiancée… la salle d'accouchement au
cimetière…
Cette pièce ne me plait absolument pas !
PRIMO: Ce n'est pas ma faute…
SECONDO: Mais attends... ces deux types… Wladimir
et Estragon…
Ca ne leur viendrait pas l'idée de faire quelque
chose… j'sais pas…
Quelque chose pour améliorer la situation… trouver
un boulot… aller à la plage… se chercher une femme… faire quelque chose…
C'est pas possible que ces deux là, restent là
tout le temps, à attendre quelqu'un qui ne vient pas, à râler, à ôter une
chaussure qui leur fait mal…
Ils auront bien une idée… un plan…
PRIMO: Oui… à vrai dire, ils ont bien un projet…
SECONDO: ah ! Enfin…
PRIMO: (perplexe)
en fait…
SECONDO: En fait quoi… voyons, quel plan ils ont…
PRIMO: ils veulent se suicider…
SECONDO: Nooon…
PRIMO: Oui… oui… (il ouvre grand les bras) oh… c'est écrit comme çà dans le texte…
SECONDO: En attendant Godot" chef d'œuvre de
Samuel Becke'tt
auteur français-anglais- et même irlandais, auteur
majeur de théâtre du XXème siècle…
et après on se plaint que les gens ne vont plus au
théâtre… rendez nous Goldoni !
PRIMO: Ne sois pas si superficiel… allez viens là…
Commençons à imaginer la scène de la tentative de
suicide…
SECONDO: la tentative…
PRIMO: Oui… tentative… allez, viens-là…
SECONDO: Me voici
PRIMO: (il
prend SECONDO par la main et le mène au bord de la scène)
Voilà, nous sommes sur un viaduc de l'autoroute
qui passe tout près…
maintenant… nous méditons un instant…
nous pensons à toutes les belles choses que… mais la vie nous a procurées et puis…
Un saut dans le vide … et hop… tout est fini…
SECONDO (il
se libère) Toi commence par me lâcher la main,
que ces contacts entre hommes plairaient beaucoup
à Brighella, qui est un peu…
(il se touche l'oreille: "de la jaquette")…
mais moi… c'est vraiment pas mon genre…
PRIMO: Mais nous devons faire le grand saut
ensemble…
SECONDO: Désolé d'insister… mais ces choses-là
sont des affaires plutôt intimes…
C'est comme aller au cabinet… moi je préfère y
aller seul…
PRIMO: Non, non… nous devons sauter ensemble…
SECONDO: Mis à part le fait que j'aimerais savoir
d'où sort cette autoroute
"avec un viaduc"…, d'abord "route
de campagne, arbre – stop",
pas de Vicenza, pas de Bergame, pas d'auberge, pas
de belle lavandière,
Rien de rien, de rien… et maintenant… maintenant
qu'il veut se suicider, tout d'un coup… trac… le périphérique (il regarde au loin)… allez, allez, là-bas,
tous les gens qui sont chez IKEA…
PRIMO: Viens, donne-moi la main et sautons
SECONDO: Bas les pattes… pédophile…
PRIMO: mais nous devons sauter…
SECONDO: Ecoute… moi je n'ai jamais sauté… je ne
sais même pas comment on fait… On va faire autrement… d'abord tu te jettes toi…
moi je regarde et j'apprends… puis je saute à mon tour…
PRIMO: Quel bel esprit… "Un nouveau comique
est né"…
SECONDO:.. Peut-être qu'on peut arriver en bas, en
passant pas un autre endroit… Ca prendra plus de temps… mais ce sera sans doute
plus commode…
PRIMO: Ca suffit ! Conduis-toi en homme…
Donnes-moi la main et sautons… Hop!
SECONDO: Hop, en haut ou en bas ?
PRIMO: En bas !
SECONDO: Tu cherchais à m'entuber… je t'ai dit que
la main, je ne te la donnerai pas! Sacré Nom ! De plus, si nous tombons sur ces
rochers en bas… regarde ces pointes…
Nous nous écrasons sur tout çà… et lorsque les
secours arrivent
Ils nous trouvent tous broyés, du sang, des boyaux
de tous côtés,
que même jack l'éventreur n'en ferait pas son
quatre heures…
Et puis, ils ne savent même plus si c'est mon pied
ou le tien…,
si ce coude est à moi ou à toi..., tout mélangé…
foies, cerveau, rognons… poumons… quel horrible spectacle
…
Et alors ils creusent une seule fosse,
suffisamment large pour y tenir tous les deux…
Et ils nous jettent ensemble dedans… quelle
horreur… Non! Désolé….
Mais moi la main, j'te l'y donne pas… si tu veux t'y
jeter… t'y vas…
PRIMO: Non, tout seul, je ne peux pas… nous devons
nous suicider ensemble
SECONDO (au
public) Ouaah… Qu'il est antipathique, quand ça lui prend…
au moins, faisons autrement… On pourrait se
suicider au gaz…
On ouvre tous les robinets… On s'étend…, et puis
on attend
PRIMO: On ne peut pas !
SECONDO: Pourquoi ?
PRIMO: il n'y a pas de cuisinière à gaz…
SECONDO: Alors… Quand tu veux toi, tu sors le
périphérique, avec IKEA, Hypercoop, et même Décathlon, sans aucun problème…
moi, je demande une cuisinière à gaz…, y en a pas…
on peut pas… tout de suite, plein de problèmes …
PRIMO: Mais ça n'a pas de sens une cuisinière à
gaz…
Pour se suicider au gaz, il faut une cuisinière à
gaz…, c'est vrai…
mais il faut aussi un espace clos… sinon, le gaz
se disperse…
et alors nous, nous mourrons quand????
SECONDO (écartant
les bras) Si nous ne mourrons pas, ça voudra dire que ce n'était pas notre
destin…
PRIMO: Le scenario dit que nous devons nous suicider,
"mourir ensemble"
SECONDO: Cette pièce ne me plaît pas du tout, à
moi !
PRIMO: "mourir ensemble"…
SECONDO : Et si on se pendait ?
PRIMO: Avec un balai !
SECONDO: On a la corde… Tu veux essayer ? On n'a
rien à perdre de tenter…
PRIMO: Tu es un bouffon…
SECONDO: Merci… C'est très gentil…
mais ça n'a pas été facile d'arriver à ce niveau…
il m'a fallu travailler-travailler-travailler…
travailler-travailler..!
PRIMO: Assez !
SECONDO: (il
sort un pistolet, de sa veste) Et si on se tirait dessus ?
PRIMO: Bravo, tu vois que quand tu veux, tu as
aussi des idées intelligentes…
SECONDO: Je savais bien qu'au fond-au fond, tu
m'apprécies
PRIMO: Certes… tu es un peu fou…
Mais si je ne t'appréciais pas, je ne travaillerais
pas avec toi…
SECONDO: Merci… Tu veux que je t'embrasse ?
PRIMO: Non: sors
l'autre pistolet…
SECONDO (tâtant
son vêtement) Il n'y en a pas d'autre... Il n'y a que celui-ci…
PRIMO: Et alors, comment va-t-on faire …
SECONDO: Mais c'est très simple… D'abord je te
tire dessus… ensuite, quand tu es mort, tu tires à ton tour et je meurs moi aussi… hein ?
PRIMO: Non, d'abord je te tire dessus, tu meurs et
ensuite je me suicide
SECONDO: Et non… désolé… si tu tires sur moi, je
meurs et quand tu dois te tirer dessus le pistolet s'enraye ? Qu'est-ce que tu
fais alors ? Tu ne peux plus tirer et tu seras déçu…
Tu l'as dit toi-même… "Mourir ensemble"…
PRIMO: C'est sur c'est là tout le problème…
SECONDO: Oui et puis, si tu permets… si toi et moi
nous mourrons… qui est-ce qui termine le spectacle ? Les femmes de ménage,
lorsqu'on viendra nous enlever ?
PRIMO: Non, çà ce n'est pas un problème…
Deux nouveaux personnages
… Il y a deux autres personnages…
SECONDO: Et c'est maintenant que tu me le dis ?
PRIMO: Euh… Nous n'étions pas encore parvenus à
cet endroit…
SECONDO: Mais quel endroit… Il y a quatre
personnages et nous, nous sommes deux…
Et toi, tu le dis maintenant… On va faire comment…
PRIMO: Nous allons devoir demander l'aide de deux
personnes… sympathiques…
dans le public…
SECONDO: Ben voyons ! Voilà qu'on va se mettre
aussi à jouer les animateurs…
Mais où on est ... au Club Med' ?…
PRIMO: Nous devons le faire ! Rappelles-toi… Pas
Godot… pas manger…
Au contraire… pendant que je choisis deux
sympathiques collaborateurs…
Toi, tu vas prendre ce panier qui est là-bas dans
la coulisse…
(SECONDO y
va et PRIMO choisit deux spectateurs, hommes,
l'un
maigre, sera Lucky et un autre plus costaud, sera Pozzo)
Alors, toi qui t'appelles XX, tu seras Lucky…
Et toi qui t'appelles YY, tu seras Pozzo…
(SECONDO
revient)
Voilà, je te présente nos invités… Pozzo et Lucky…
SECONDO: Ils s'appellent comment ?
PRIMO: Pozzo et Lucky…
SECONDO: Mais qu'est-ce que c'est que ces noms-là
!?..
PRIMO: Non, eux ils s'appellent XX et YY… Les
personnages s'appellent Pozzo et Lucky…
SECONDO: Ah… Ces merveilleux noms de ton copain
Samuel… comme Estragon…
Vladimir…La belle excuse… C'est pas parce que c'est
toi qui le joues …
mais ça fait vraiment nom du vampire de la pub…
PRIMO: mais qu'est-ce que tu es encore en train
d'inventer…
SECONDO: Oui… ça pourrait faire…
"Je suis Vladimir… je suis le vampire qui
trucide d'un seul soupir… a-annn"
PRIMO: Allez arrête… aide-moi plutôt…
ouvre la malle…; nous devons trouver un costume
pour Pozzo
SECONDO: Un
costume pour Pozzo…? Tu cherches,
quoi…
un seau avec une chaîne à lui attacher au cou ?
PRIMO: Si tu avais lu le canevas, tu saurais que
Pozzo est un monsieur… un dominateur…
Un homme de pouvoir… il commande… il a le fouet…
lui
SECONDO: (il
ouvre le panier et en sort un uniforme nazi, il complète avec des lunettes de
soleil, type Ray Ban et un fouet). Ca va comme çà ?
PRIMO: Oui, c'est parfait…
SECONDO: Mais où est-ce que tu as trouvé tout ça !
(en même temps, qu'ils aident Pozzo à
s'habiller)
PRIMO: Ce sont des costumes qui sont restés de
l'époque où Strelher avait mis en scène "le brave soldat Schweyk", de
Brecht; au Piccolo Teatro
SECONDO: …Strelher… Brecht…Schweyk… C'est beau… (au public) Il les dit bien, hein?…
C'est surement des copains à… Beckett (a PRIMO)
… Comment tu écris Schweyk ?
PRIMO: Esse, Cé, ache, double-vé, i grecque, ka…
SECONDO: (admiratif)
C'est du français ?
PRIMO: Non!
SECONDO: de l'anglais
?
PRIMO: Non!
SECONDO: de l'Anglais-et même-irlandais !?
PRIMO: Nooon !
SECONDO: de l'ALLEMAND
!
PRIMO: Non… Schweyk était pragois… Donc Schweyk est
tchèque
SECONDO: Oh, le pauvre…
PRIMO: Pas de blague idiote…
Tchèque de Tchéquie… la moitié de ce qui était
autrefois la Tchécoslovaquie…
SECONDO: Quelle culture… Tu en sais des choses…
Tu pourrais être professeur… à l'université
Bocconi… (Pendant ce temps, Pozzo s'est
vêtu)
ET l'autre… L'autre, comment tu as dit qu'il
s'appelle ?..
PRIMO: Lucky… c'est de l'anglais… Ca veut dire
"chanceux"…
SECONDO: (Perplexe…
il sort du panier une tenue de déporté) Je parie que çà, c'est pour lui…
PRIMO: Exactement ! (ils commencent à l'aider à se vêtir)
SECONDO: Evidemment… un qui a de la chance… c'est
logique… il est déporté dans un camp d'extermination… (au public)… imaginez un peu s'il avait eu la poisse…
Dans le genre du fils de celle qui accouche au
cimetière…
On l'asperge avec une bouteille d'essence…
Et on lui met le feu, tout de suite, à peine né…
PRIMO: Tu ne comprendras jamais rien…
Lucky a de la chance parce qu'il n'attend plus
rien de la vie…
Il a accepté son sort d'esclave… il n'a plus aucun
espoir…
SECONDO: Punaise…
y a des gens qui ont un de ces bols..
PRIMO: Oui… Lucky a compris et désormais il ne
recherche plus aucune liberté…
Il sait maintenant que toute libération n'est
qu'une impossible utopie…
La seule libération qu'il peut vraiment attendre…
est celle de la mort…
SECONDO: Rebelote !
PRIMO: Voilà, maintenant ils sont prêts…
Il manque une perruque blanche (ils lui en mettent une)
La laisse…, (il
met une longue laisse au cou de Lucky et donne l'autre bout à Pozzo)
(à SECONDO)
donne-lui son chapeau… il ne peut pas penser sans chapeau…
SECONDO (à
Lucky) regarde-les ces bâtards… ils ont tout de suite fait copain - copain
ces deux – là
(Les
scènes suivantes prévoient le face à face des deux couples: Lucky et SECONDO,
contre Pozzo et PRIMO)
PRIMO: Donc… la scène est la suivante…
Tu es là et tu tentes d'ôter ton soulier mais tu
n'y réussis pas…
SECONDO: Oui, bien sur… je peux pas…
ça fait une heure que nous sommes là… et j'ai pas
pu encore, enlever c'te chaussure de mon panard
PRIMO: Va-y !
SECONDO (Polémique)
Ca va… (à mi voix) Tu me le paieras !
PRIMO: Moi, de mon côté, je scrute l'horizon…
SECONDO: Ouais… Christophe Colomb… "Terre…Terre…"
PRIMO: Je scrute l'horizon et tout d'un coup, je
les vois qui arrivent…
Venez ici vous deux… (à Lucky), toi prends la valise et le panier… (Il les emmène vers les coulisses)
Musique !!! (on
entend la marche de Radetsky)… entrez en marchant (le public applaudit en
mesure)
Improvisation "à quatre"
En avant ! Marquez le pas sur place Halte… (Fin
de la musique)
Très bien, toi maintenant (s'adressant à Pozzo) tu t'assois… non… avec plus de naturel…
(Tout ce qui
sera fait maintenant par Pozzo et Lucky, sera fait recommencer plusieurs fois…
Comme
si c'était une véritable répétition…
D'abord
ce sera la position qui aura été fausse, une autre fois l'intention, une autre
fois encore, l'intonation…
SECONDO
et PRIMO montreront à chaque fois quelle est la façon correcte de faire
et
ils joueront avec les hésitations et les erreurs des malheureux)
Vois-tu… Pozzo est un monsieur… il se lève et s'assied
avec naturel
(on répète
le "se lever et s'assoir avec naturel")
Maintenant tu as faim et ton serviteur doit te
servir à dîner…( R[2] )
Appelle-le… "Hé, chien… dépêche-toi… prépare
la table et sers-moi à manger…" ( R )
SECONDO (à
Lucky) toi au contraire, tu es très fatigué parce que tu as porté les
valises toute la journée, et tu ne lui sers rien du tout, et même tu dors… là,
debout…
Fais voir comment tu t'endors ? ( R )
PRIMO: Mais que fait l'esclave… Il dort…
SECONDO: Oui, il dort parce qu'il est très
fatigué… Si monsieur veut dîner…
qu'il se débrouille tout seul.
PRIMO (à
Pozzo) Donnes-lui un coup de fouet… tu vas voir comment il va se réveiller…
SECONDO: tu n'oseras pas…
SECONDO: tu n'oseras pas…
(PRIMO prend
le fouet des mains de Pozzo et le fait claquer au sol)
… mais tu sais que tu es un vrai bâtard…
PRIMO: Allez bande de CHIENS ! Servez le dîner
(SECONDO et
Lucky mettent la table; ils prennent le nécessaire dans un panier à pique-nique)
SECONDO: Ce spectacle ne me plaît vraiment pas, à
moi !
PRIMO: Appelles-le maintenant "allez Espèce
de porc, viens prendre mon manteau…"
Lèves-toi avec naturel… ( R )
SECONDO: Moi, ceux –là, je vais te les tuer tous
les deux (Lucky va prendre le manteau de
Pozzo)
PRIMO: Maintenant assieds-toi avec naturel…
maintenant, tu veux fumer un peu ta pipe…
Appelles-le "Espèce de porc, viens ici et
allumes-moi la pipe…"
SECONDO: N'y vas pas… révolte-toi…
(Coup de
fouet – Lucky va tenter d'allumer la pipe de Pozzo)
PRIMO: voyons un peu ce que ces deux bons à rien
nous ont préparé (dans l'assiette, il y a
une petite cuisse de poulet et une carotte)
Goûtes… ce n'est pas bon… jette-le là…
(SECONDO se
précipite pour ramasser, PRIMO fait claquer le fouet)
Laisse tomber… les restes sont pour les chiens…
(SECONDO
réussit à prendre la carotte et à la mettre dans sa poche)
SECONDO: Je vais te tuer… Je jure que ce soir, je
vais te tuer…
et demain nous serons à la une des faits divers…
Tu sais, j'ai compris pourquoi tu t'es acoquiné
avec le directeur du théâtre
pour faire du théâtre de l'absurde…
Parce que comme çà tu peux donner libre cours au
bâtard que tu es…
mais dans le prochain spectacle, on fera du
Molière
Et je te donnerai assez de coups de bâton pour te
faire passer l'envie de faire du Becke"tt"
PRIMO: ce repas était vraiment dégoûtant…
vraiment…
(Pozzo répète
avec dégoût) ( R )
Lucky est vraiment, plein de bonne volonté… il
cherche à se rendre utile pour ne pas se faire licencier…
mais il en est totalement incapable… ( R )
Le pire, c'est le dégoût qu'il provoque en nous
lorsqu'il pleure ( R )
Lucky, tu dois pleurer…
SECONDO: Ne lui fais pas ce plaisir
PRIMO: il faut vous fouetter tous les deux ? Bande
de chiens ! (le fouet claque en l'air)
SECONDO: Pleures… pleures…, sinon il va nous arracher
la peau … (Lucky essaye de pleurer (
R ))
PRIMO: regardes u
peu comme il pleure… les vieux chiens ont plus de dignité… quelle
tristesse…
SECONDO: Oh… c'est toi qui nous as dit de pleurer
PRIMO: Ils pourraient tenter de nous divertir… Si
au moins ils pouvaient improviser un ballet…
SECONDO: Ben voyons… qu'est ce qu'on est devenus
maintenant… les "Claudettes"
?
PRIMO: Non, nous voulons la danse du filet…
SECONDO: Qu'il est beau ce canevas… mais c'est
quoi cette danse du filet…
PRIMO: C'est clair… C'est une danse, dans laquelle
vous êtes pris dans un filet…
Et vous suffoquez comme des poissons… vous
cherchez à vous libérer… vous n'y réussissez pas…
et la danse finit lorsque vous mourrez…
SECONDO: je sais que je me répète…
mais, ce spectacle, à moi, il ne plaît pas du tout
!
PRIMO : (Il
fait claquer le fouet) DANSER !
(SECONDO et
Lucky improvisent une danse du filet-
Accompagnement
musical: un morceau de hard rock – à la fin, ils tombent à terre suffocants)
(à Pozzo)
Pas mal… quand ils veulent… vraiment…
Allez levez-vous maintenant… c'est à vous que je
parle, tas de chiens… levez-vous; il y a maintenant le monologue de Lucky
SECONDO: Maintenant il y a aussi un monologue ?
PRIMO: Certainement !
SECONDO: Fais voir… (il prend le scenario et lit avec Lucky)
"Considère l'existence
Comme elle se déduit des récents travaux publiés
par Poinçon et Wattman
D'un Dieu personnel quaquaqua
à la barbe blanche quaquaqua
hors du temps et de l'espace
Lequel, du haut de sa divine apathie, sa divine
athambie, sa divine aphasie,
nous aime bien quaquaqua".
Mais qu'est-ce que c'est que ce Bazard…
(au public)
Je vous jure… c'est écrit comme çà…
Tu parles d'un théâtre de l'absurde… çà c'est la
danse du quaquaqua…
Même Stone et Charden qui sont divorcés, ils ne
font plus çà… et on devrait le faire, nous ?
Stop! Nous on refuse! La grève! " Même si des
femmes sommes, peur nous n'avons…"
PRIMO: Une fois de plus… comme on voulait le
démontrer…
vous ne perdez aucune occasion pour mettre en
évidence toute votre superficialité…
et vous laisser emporter par toute votre banalité…
SECONDO: Drapeau rouge triomphera… Drapeau rouge…
PRIMO: Bravo, juste au moment le plus vibrant du
texte…
Juste au moment du monologue de Lucky
Le naturel revient au galop…
Vous ne parvenez pas à comprendre et vous faites
état de toute votre canaillerie…
SECONDO: Canailles, nous !... et ton pote Beckett
alors… avec sa danse du quaqua…
PRIMO: Mais pourquoi ne parvenez-vous pas à
comprendre que dans ce monologue…
dans le monologue de Lucky,
Beckett montre les limites de l'homme devant Dieu,
devant la nature,
vraiment… devant lui-même… oui…
Beckett nous montre le rapetissement de l'homme
Sous un ciel indifférent et sur une terre
impossible
et il nous
fait comprendre que la terre est un lieu fait pour les pierres et non pour les
êtres humains…
SECONDO: … Et donc… (air satisfait)
PRIMO: Et alors, quoi ?
SECONDO: … Tu veux que je le dise ?
PRIMO: Dis-le !
SECONDO: et donc nous… nous devons nous suicider…
Comme çà, nous cessons de cassez les burnes
et le public, après s'être diverti avec ses
sympathiques réflexions,
Peut s'en retourner chez lui, content et
tranquille… Ohhh!
PRIMO: Ca va, ça va, laisse tomber…
(à Pozzo et
Lucky) vous vous pouvez enlever ces costumes… de toutes façons… vous avez
vu…
Vous avez fait preuve de beaucoup de bonne volonté
mais, cependant…
essayer de faire de l'art avec lui…
c'est comme parler de physique nucléaire avec Pamela
Anderson… pareil…
SECONDO: Parce que… toi, quand tu rencontres Pamela
Anderson, tu te mets à parler de physique nucléaire ?
PRIMO: C'était un exemple…
SECONDO: Nous devons parler sérieusement de
l'avenir de notre compagnie…
Sérieusement… trèèèès sérieusement…
PRIMO: en attendant, remercions XX et YY pour leur
aimable collaboration
(Marche de
Radetsky et applaudissements)
Merci… vous pouvez retourner à vos places… et
excusez-le… si c'est possible…
SECONDO: Bon… et maintenant ?
PRIMO: Et maintenant… grande scène finale !
Première scène finale
SECONDO: Enfin… Donc, qu'est-ce qu'on fait…
PRIMO: Rien… la scène finale… c'est comme tout le
reste… on attend… c'est un jour, comme tous les autres jours…
Il ne se passe rien… peut-être qu'un jour, l'un de
nous deviendra muet…
Peut-être qu'un autre jour, l'un de nous deviendra
aveugle… un autre jour encore…
SECONDO: Nous deviendrons sourds…
PRIMO: Normal… un jour nous sommes nés…
SECONDO: … Un jour nous mourrons…
PRIMO: Ce serait bien que ce soit le même jour… au
même instant…
SECONDO: Ce serait bien de ne pas porter malheur…
PRIMO: Ce serait bien de réussir à dormir, au moins…
SECONDO: Dans quel sens…
PRIMO: Dans le sens que ce serait bien de réussir
à dormir ici… maintenant…
SECONDO: Donc nous, nous dormons… et le public
nous regarde dormir…
PRIMO: peut-être que nous rêverons que nous sommes
heureux…
SECONDO: Oui, c'est surtout le public qui serait
heureux,…
Ca me rappelle ce film d'Andy Warhol…
Il a filmé pendant dix heures un type qui dormait…
très beau… avec des effets spéciaux…
On aurait dit Matrix 1, 2 et 3 en même temps,
imagines qu'à un certain moment, même…
Oh, tu ne le croiras pas… il se mettait même à
ronfler…
Puis… tout d'un coup… un coup de théâtre… il se
retournait et ne ronflait plus…
PRIMO: Mais ne serait-il pas beau de dormir et de
rêver d'être heureux…
Pendant que le temps passe…pendant que nous
attendons…
"J'ai peut-être dormi
pendant que les autres souffraient ?
Je dors peut-être en ce
moment…
Demain, demain, lorsqu'il me
semblera m'éveiller, que dirai-je de cette journée…
Sans doute dirai-je que mon
ami Estragon,
A attendu Godot dans ce lieu
désert, jusqu'à ce que la nuit tombe…
Que Pozzo soit passé avec son
esclave et qu'il nous ait parlé…
Mais dans tout cela, quelle
sera la part du vrai ?
Nous attendons…
Et entre temps au fond de la
fosse, le croque-mort manipule ses fers, pensif…
Il nous laisse encore un peu
de temps pour vieillir…
Il écoute l'air qui résonne de
nos cris…
Mais je parle avec toi, qui
dors…
Tu dors et tu ne sais rien… tu
dors et tu n'es rien…
Désormais, je ne peux plus
avancer…
(au public) laissons-le dormir…"
SECONDO: Grand… grand… quel immense acteur…
vraiment un immense acteur de pure race (il
demande les applaudissements du public)
PRIMO: Merci… merci
SECONDO: Bien… maintenant, (il regarde sa montre) attendre, nous avons attendu…
L'acte final, on l'a fait… donc maintenant, je
crois que nous pouvons nous en aller…
De toutes façons, si j'ai bien compris… ton ami ne
viendra ni ce soir, ni demain ni jamais…
PRIMO: d'abord, nous devons attendre le messager…
SECONDO: Ah, c'est vrai… Godot ne vient pas… mais
il envoie un messager
PRIMO: Oui, le messager viendra par là
D'abord, il frappera timidement, puis il
s'approchera,
Nous le reconnaitrons… c'est le même qui vient
tous les soirs…
Il nous dira que c'est Godot qui l'envoie… il nous
dira que Godot, ne peut pas venir ce soir…
Que Godot est malade, mais qu'il ira mieux demain
et que demain il viendra sûrement.
Nous chercherons à savoir à quoi ressemble Godot,
si Godot est riche, si Godot est vieux, s'il est
barbu, si sa barbe est blanche…
nous lui demanderons si Godot est généreux…
Le garçon commencera à répondre…
Puis, tout d'un coup, en toute hâte, comme s'il
était apeuré, il s'enfuira…
A ce moment-là, nous pourrons partir nous aussi…
SECONDO: Pourquoi on n'irait pas le trouver, nous
?
PRIMO: Mais parce que ça n'a rien à voir, parce
que ce n'est pas écrit dans le canevas !
SECONDO: Excuse-moi mais, s'il est malade, il me
semble que la moindre des politesses, c'est d'aller le voir…
PRIMO: Ne dis pas de bêtises
SECONDO: Peut-être qu'il nous offrira à manger…
PRIMO: Il ne peut pas !
SECONDO: Comment çà, il ne peut pas…
Si c'est lui qui vient, il nous donne à manger, il
nous fait dormir, sur la paille au chaud…
Si c'est nous qui y allons… rien…
PRIMO: Rien !
SECONDO: Pourquoi ?
PRIMO: Parce que non !
SECONDO: "Parce que non"…, c'est pas une
réponse…
PRIMO: Ouf… Parce qu'il est mort…
SECONDO: Mais alors, le garçon…
Toutes ces choses, que Godot est vieux, riche,
barbu…
PRIMO: Des bobards… rien que des bobards! Godot
est mort… raide mort… point à la ligne!
SECONDO: Ah… Voilà enfin la vérité…
Voilà qui est mort… voilà pourquoi tu t'es habillé
comme ça dès le début…
voilà le pourquoi de tous ces discours… "
Elles accouchent à cheval sur une tombe…"
et "nous devons mourir ensemble"… et la
passerelle d'Ikéa…
PRIMO: Oui, c'est çà la vérité…
SECONDO: Bon, partons… que j'ai une de ces faims…
PRIMO: Non, sur le canevas il y a écrit que nous
devons attendre le garçon…
Tu vois (Il
ouvre le canevas) " on entend frapper timidement…"
SECONDO: D'accord, on attend…
Deuxième scène finale ou, "une scène déjà vue"
(On entend
trois coups tonitruants, comme d'une masse sur une porte)
PRIMO: Le voici !
SECONDO: (Terrorisé)
"Timidement", va-te-faire-fiche…, qu'est ce serait si c'était écrit
"avec force"… il foutait par terre le théâtre…
(On joue
l'ouverture du Don Giovanni de Mozart)
Mais… Mais qu'est-ce que c'est cette musique…
PRIMO: Je ne sais pas… "il me semble l'avoir
déjà entendue"… mais je ne me rappelle pas…
SECONDO: Mais comment "il me semble l'avoir
déjà entendue"… nous l'avons déjà entendue, et comment…
PRIMO: Quand ?
SECONDO: Lorsque nous avons joué Don Giovanni… tu
ne te rappelles pas ? Le thème du commandeur…
PRIMO: Et quel est le rapport ?
SECONDO: J'ai un pressentiment…
PRIMO: Quel pressentiment ?
SECONDO: Godot est bien mort ?
PRIMO: Certainement !
SECONDO: Nous devons bien dîner avec Godot ?
PRIMO: Certainement !
SECONDO: Le commandeur, lui aussi était mort !
PRIMO: Et alors ?
SECONDO: Le commandeur lui aussi, devait dîner
avec Don Giovanni !
PRIMO: Je ne comprends pas !
SECONDO : (Bouleversé)
ils ont échangé leurs rôles… Godot n'est pas allé chez Don Giovanni… Et le
commandeur, vient nous chercher, nous…
PRIMO: quelles sottises!
SECONDO: Sottises ? (SECONDO, se précipite pour regarder dans la coulisse, il en retourne
terrorisé)
C'est lui… je te dis que c'est lui!!! C'est
terrible!
(SECONDO
mime la statue du commandeur qui avance gauchement, qui menace de prendre PRIMO
et de le manger tout cru, comme une carotte, qu'il sort de sa veste, la
recrache,
Puis
il prend le balai et frappe trois fois, lourdement, sur le parquet
SECONDO
gardera e balai dans ses mains et en jouera et l'utilisera comme arme de
défense jusqu'à la fin).
PRIMO: Mais ne t'inquiètes pas… Il n'y a aucune
raison d'avoir peur…
SECONDO: … ET comment!.., tu me dis que nous
devons mourir ensemble depuis le début du spectacle…
Maintenant tu es content… Tu as réussi à trouver le moyen…
PRIMO: Absolument pas… ne t'inquiètes pas… allons
par là… nous allons lui expliquer la situation…
SECONDO:
Non-non-non-non- nnon ! Moi je ne
vais nulle part...je reste ici jusqu'à ce que le danger disparaisse... ( A nouveau trois coups… pendant que la
musique se fait menaçante)
Au secours !!!
PRIMO: Allons !
SECONDO: Tu es fou…
(Se tournant
vers le fond de la scène) On n'est pas là !!!
(A nouveau
trois coups) Il n'y a personne !!!
(A nouveau
trois coups) On est parti chez Godo"tt"!!!
(A nouveau
trois coups)
PRIMO: J'y vais (il s'éloigne)
SECONDO: N'y vas pas !!! (PRIMO disparait dans la coulisse)
Voilà… Je le savais… Je l'avais dit…A moi, ce
spectacle, il ne me plait pas du tout !
(Il va vers
la coulisse pour voir ce qui s'y passe,
Il
fait signe au public que quelque chose de terrible est en train de se passer)
Je l'avais dit moi qu' il n'y croyait pas
(Il imite le
commandeur) "Repens-toi, indigne… repens-toi indigne"
Dis-lui que tu n'es pas Don Giovanni…
Il n'y croit pas… Je l'avais dit qu'il n'y croyait
pas…
En plus lui, le pôvre, c'est qu'avec les filles,
il n'a pas tant de succès que çà…
et maintenant, il va mourir à la place de Don
Giovanni…
(Mettant ses
mains en porte-voix) Dis-lui, qu'il aille prendre le directeur du théâtre…
(Il regarde)
Nooon, nooon! Ne lui donne pas la main…
Ce type a une main à trois-cents mille volts… (bruits de catastrophe)
Voilà ! Il la lui a donnée! Saloperie…
On se croirait dans Highlander… lorsque toutes les
vitres volent en éclats… Misère de misère…
Maintenant, il est en train de l'enfoncer dans le
sol…
PRIMO: … Une Black & Decker
humaine…
Mais c'est quoi… un canal direct pour l'enfer…
(SECONDO se
protège) C'est pas croyable… des flammes… des explosions… un désastre…
(Il va dans
la coulisse et revient avec des lambeaux d'étoffe du costume de PRIMO, roussis
et fumants, pendants au manche du balai)
Adieu PRIMO…
Voilà ce qui arrive à vouloir faire le théâtre de
l'absurde…
Voilà… voilà… et maintenant, qui va me payer, moi…
Monsieur le directeur… Monsieur le directeur…!
(Il hurle) Ma paye, ma paye… Ma
paaayyyeee!
Troisième et dernière scène finale
(Il jette le
balai et sort en courant, à travers le plateau. – PRIMO rentre tout roussi)
PRIMO: SECONDO! Où vas-tu… n'aies pas peur… Il ne
m'a rien fait… calme-toi…
Il n'y a pas de théâtre de l'absurde… Il n'y a pas
de commandeur à trois cents mille volts, qui tienne…
Reviens ici… tant qu'il y aura le théâtre…
Il n'y aura rien… RIEN qui ne puisse détruire les
comiques et la Commedia dell'Arte…
(SECONDO
revient – embrassade finale)

LE NOUVEAU CANEVAS by Luigi Alcide Fusani is licensed under a Creative Commons Attribuzione - Non commerciale - Non opere derivate 3.0 Unported License.
[1] Bien évidemment, la traduction française, adoptera le
même procédé: le français académique sera réservé à Primo. Pour les raisons
avancées par l'auteur, SECONDO n'utilisera la même langue que pour singer ou se
moquer de PRIMO. Autrement, il utilisera le parler populaire.
Afin de rendre en français un effet équivalent au
dialecte bergamasque utilisé par l'auteur, nous avons pris le parti de recourir
au langage parlé de la rue ou au langage des campagnes parodié (Ndt)
[2]
R = Répétition de l'action. (ndt)
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