sabato 23 aprile 2016

Histoire de Flèche, la chaise















Histoire de Flèche, la chaise.



I


Il était une fois une chaise.
C'était une belle chaise, on aurait même dit une chaise ancienne, en bois travaillé, avec un siège en tapisserie. Pas une de ces chaises équarries et dures qu'on vend aujourd'hui.
Elle travaillait dans une belle maison. Une maison individuelle avec un jardin et un garage, près du centre-ville.
Elle n'habitait pas dans un quelconque appartement, dans une quelconque copropriété, dans n'importe quelle rue. Le maître de maison était un avocat important, une personne sérieuse. Avant de déjeuner, il lisait toujours les nouvelles poltiques sur le journal et à table, il écoutait toujours le journal télévisé en mangeant.
La chaise devait rester tout le temps bien comme il faut, près de la table, à moins que quelqu'un ne veuille s'assoir dessus. Parfois, on la déplaçait pour bien nettoyer sous la table, mais la plupart du temps elle devait rester là bien tranquille.
A la maison, en plus de l'avocat, il y avait sa femme, ses enfants (deux garçons de huit et dix ans) et la bonne.
Parfois, l'après-midi, les garçons jouaient dans la salle à manger et, cela ne déplaisait pas à la chaise. Les garçons jouaient avec elle... Ils faisaient comme si elle était le wagon d'un train, ou bien une montagne à escalader, ou encore, un cheval dans des batailles entre cow-boys et indiens. La chaise n'aimait pas trop faire la montagne à escalader, aussi parce que souvent, ils la mettaient sur la table, dans des positions étranges  et lui montaient dessus avec leurs pieds... puis, arrivaient la maman et la bonne qui haussaient la voix, renvoyaient les enfants et la remettaient en place. Faire le cheval dans une bataille entre indiens et cow-boys lui plaisait beaucoup, au contraire. Elle avait vraiment l'impression d'être un vrai cheval et de courrir à travers d'immenses prairies. Une fois elle avait vu à la télévision un joli film où l'on voyait de vrais chevaux avec des peaux-rouges qui galopaient dans la grande prairie... Ca oui, ce devait être une belle vie. Le héros était un cheval blanc très rapide, (à vrai dire, il était gris mais, à elle, il paraissait blanc), tellement rapide que son cavalier, Ombre Silencieuse, un guerrier apache très valeureux, l'avait appelé Flèche.
Ce qui au contraire ne lui plaisait vraiment pas, mais alors pas du tout, c'était l'après-midi, lorsque la femme de l'avocat, s'asseyait juste sur elle, pour regarder son feuilleton favori à la télévision.
Pour mieux comprendre combien cette situation était désagréable, il faut préciser un détail: la femme de l'avocat avait un postérieur terrifiant... un postérieur tellement gros qu'il ne rentrait pas tout entier sur le siège... un postérieur tellement lourd que chaque fois que madame s'asseyait, elle se sentait suffoquer. Et puis ce feuilleton: une histoire d'une infinie stupidité... et en plus, elle devait supporter les commentaires de madame et de la bonne, Martine, qui elle aussi était assise devant la télévision avec un kilo de petits pois à écosser ou quelque autre légume à préparer pour le dîner.
"C'est clair que lui, c'est vraiment un bâtard",
"Mais elle aussi, qui lui a fait croire, qu'il est le père de l'enfant... Elle n'est pas vraiment honnête...",
"Qui sait comment elle va s'en tirer, avec cet enfant, maintenant aussi qu'elle n'a plus de travail...".
C'était le pire moment de la journée.
Une fois qu'elle n'en pouvait vraiment plus, elle se mit à penser qu'elle aurait vraiment voulu s'en aller.
Oui, s'en aller et devenir un cheval. Un de ces chevaux qui courrent dans les grandes prairies. Certes ce n'était pas facile. Elle n'avait jamais bougé de l'endroit où on l'avait placée.
Elle commença  à rêver. Si elle avait été un cheval elle aurait tellement aimé s'appeler Flèche, elle aussi, comme celui d'Ombre silencieuse.
Vous savez comment c'est, lorsque l'on commence à rêver... on commence à y penser... on continue d'y penser... on y pense toujours plus et à la fin, on ne pense plus à rien d'autre ... tous les jours. La nuit, on ne dort plus. On ne pense seulement qu'à réaliser son rêve.
La chaise pensait dans son for intérieur: "... Je devrais esssayer de me déplacer au moins un peu... de quelques centimètres... une fois les premiers centimètres passés, le plus dur est fait... puis je retournerai à ma place mais entretemps, je me serais déplacée... et si je n'y arrivais pas ?  Voilà presque cinquante ans que je suis dans cette maison et je ne me suis jamais déplacée... si je découvrais que je ne peux me déplacer et que je devrai rester ici pour l'éternité, je deviendrais certainement folle... je dois réussir, je dois absolument réussir... je dois réussir. Même d'un centimètre... rien qu'un centimètre mais il faut que je réussisse."
Et ainsi, une nuit de mai, une nuit que sa tête explosait, le coeur affolé, tremblante de peur, elle se dit: c'est maintenant ou jamais! Elle sentit chaque fibre de son bois se contracter dans une tension qu'elle n'avait jamais éprouvée auparavant... et elle se déplaça.
Lorsqu'elle se fut déplacée, tout d'un coup, son âme fut envahie par une sensation de bien être.
Elle s'arrêta un instant pour se reposer et tenter de bien comprendre ce qui venait de se passer. Comme cela avait été facile! Elle aurait même pu le refaire. Elle regarda la table... elle s'était déplacée d'un bon peu... bien plus qu'un centimètre... au moins sept ou huit... (elle aurait voulu dire dix mais cela lui aurait semblé tricher avezc elle-même).
C'est à cet instant qu'elle eut une pensée qui la fit trembler... "Serai-je capable de le refaire ?".
Elle retenta. Elle réussit à nouveau. Moins que la première fois... quatre ou cinq centimètres mais cette fois-ci, au prix d'un effort nettement moins important. Elle avait été capable de recommencer! La chaise se sentit profondément heureuse, au plus profond d'elle même mais aussi épuisée... Et elle se laissa glisser dans le sommeil.
Elle se réveilla tout d'un coupe matin suivant. La maitresse de maison la remit à sa place, d'un mouvement brusque, appuyée à la table, en murmurant: "Je voudrais bien savoir qui a laissé un tel désordre... " La chaise pensa: "tu peux bien faire ta despote... tu verras ce que je ferai, dès que j'aurai appris à bien me déplacer comme il faut...".



II


Cette journée passa rapidement. La chaise ne prêta attention à rien de ce qui se passait autour d'elle. Elle pensait seulement à ce qu'elle aurait fait le soir. Elle faisait des projets.
"Je pourrais aller jusqu'à la fenêtre, regarder un peu dehors et puis retrourner à ma place... de façon que personne ne s'apperçoive de rien... c'est dangereux... si quelqu'un se levait la nuit pour aller prendre quelque chose à la cuisine... un verre d'eau...ou un digestif...ou même se faire une camomille... non, non, non... c'est trop dangereux", et puis, elle ne savait pas comment elle aurait supporté la fatigue, de la table à la fenêtre, il y avait au moins trois mètres... six entre l'aller et le retour... "Non, non, ... ce soir c'est trop tôt pour ce genre d'entreprise."
De plus, elle avait pensé que ses deux déplacements de la veille avaient été tous droits... mais qu'elle aurait-elle pu tourner à droite ou à gauche? Elle aurait du essayer de tourner... Elle se serait limitée à faire un demi-tour sur elle même... dans le sens inverse des aiguilles d'une montre, puis retourner à sa place en tournant en sens iverse... "Excellente idée, oui!".
Elle commença à penser à la façon dont elle aurait du coordonner ses mouvements pour effectuer les rotations prévues. Elle échafauda quelques hypothèses, et elle décida q'elle les aurait expérimentées le soir même. Elle aimait cette façon de penser, cette capacité de programmer ses actions de façon rationnelle... scientifique, en un certain sens.
Le soir arriva vite. Lorsque les lumièresfurent éteintes, la chaise était déjà très troublée mais forttement maitresse d'elle-même. Elle attendit que tout fut silencieux alentour.
Finalement, lentement, bien attentive à ne pas faire de bruit, au prix d'un petit effort parfaitement contrôlé, elle se détacha de la table. Elle se détacha encore un peu... puis elle fit une première tentative de rotation... Parfait! Elle était entrain de tourner sur elle-même! Encore...encore...encore! Peu à peu, dans le noir presqu'absolu, elle perçut un changement de prospective. Elle continua jusqu'à ce qu'elle eut effectué un demi-tour. Elle n'avait aucune idée du temps qui s'était écoulé; cela lui semblait un temps très long et très court à la fois. Elle était un peu désorientée.
"Bien, -se dit-elle-, maintenant il faut que je retourne à ma place". Un travail de précision mais la chaise le fit sans hésitations, et même avec une certaine satisfaction.
Voilà... maintenant, elle était parfaitement retournée à sa place. Sa dernière pensée, avant de s'arrêter, fut pour la femme de l'avocat. " ... Et demain matin, je voudrais bien voir si tu t'apperçois de quelque chose!".
La chaise avait raison, le lendemain matin, Madame ne s'aperçut absolument de rien... mais cette nuiit-là, il s'était passé quelque chose de très, très important.


III


Les jours suivants, elle conçut toutes les étapes qui l'auraient emmenée jusqu'à sa nouvelle vie; on ne devient pas un cheval..., comme çà, d'un jour à l'autre, sans une sérieuse préparation. Chaque chose devait être planifiée avec soin. Avant tout elle devait acquérrir plus d'habileté à se déplacer et à bouger sur elle-même; puis elle devait s'entrainer dans le salon... Un jour, elle avait vu à la télévision, un concours hyppique où les chevaux concourraient avec force et habileté mais sans rien perdre de leur élégance; au contraire, en la faisant passer au premier plan. Voilà, elle voulait devenir ainsi. Forte, agile, élégante. Pourquoi ne pas mettre la barre tout en haut? De plus, on ne vit qu'une seule fois et elle avait déjà perdu trop de temps dans cette maison.
Evidemment, les exercice d'agilité et en particulier de saut, demandaient de l'espace et une certaine liberté de mouvement. Il fallait attendre que la famille parte passer un week-end dans leur maison en Ligurie, au bord de la mer et alors seulement, elle aurait pu s'entrainer à son aise.
Il fallait rester calme, ne pas se précipiter et risquer d'être découverte juste maintenant.
Elle imaginait la scène, si Madame l'avait surprise en train de sauter par dessus le divan... nul doute qu'elle se serait mise à crier qu'il y avait des esprits dans la maison et qu'il fallait appeler un exorciste pour bénir le foyer...non, non, du calme, c'est maintenant qu'il fallait faire attention à ne pas faire de faux pas.

La chaise attendit patiamment que la famille s'en aillle en Ligurie... à Sainte, disaient-ils... e pendant ce temps là, chaque nuit, un exercice: un jour autour de la table, une promenade jusqu'à la porte-fenêtre, un  coup d'oeil à la vitrine où Madame rangeait ses joujous... bombonnières, statuettes, petites boites en céramique, petites cloches en cristal... une collection d'une banalmité absolue. La chaise se sentait orgeilleusement supérieure. Des horizons sans frontières... elle rêvait d'autres choses que de bombonnières!

Un soir, elle resta là à regarder pendant une petite demi-heure, dehors par la fenêtre; il lui semblait  que le ciel lui était familier... Tout d'un coup elle reconnut cinq petites étoiles très lumineuses, presque alignées... Mais oui! C'étaient les étoiles qui indiquaient la direction de leur village. Lorsqu'ils s'étaient déplacés pendant un bon moment, pour une battue au bison ou pour un combat contre les visages pâles, puis qu'ils retrouvaient le chemin du village en suivant les étoiles de l'arc..Eux, ils les appelaient ainsi ces cinq étoiles! Merveilleuse intuition! Si elle, une fois libre, avait suivi les étoiles de l'arc, elle serait certainement arrivée aux immenses prairies.
Une grande joie envahit son âme. Elle avait trouvé la lumière qui devait la guider dans son voyage vers la liberté. Elle retourna à s aplace.
Elle retournait toujours à sa place à la fin de ses exercices et elle restait là, tranquille, comme si de rien n'était, à attendre que la vie, dans la maison, reprenne le matin, comme d'habitude.
Ce qui l'amusait le plus dans ces moments-là..., était de regarder les autres chaises... cinq..., toutes pareilles à elle, fabriquées en même temps qu'elle. Elles retaient là, impassibles, immobiles, comme s'il ne s'était rien passé... elles faisaient semblant de dormir... ces hypocrites. Les pauvres.On les avait mises là et là elles y seraient restées jusqu'à ce qu'un jour, quelqu'un les ait envoyées à la décharge ou même, à l'incinérateur. C'était çà la vie ? Bien sur que non!  Et pourtant, elles ne bougaient pas!


IV


Finalement, le week-end en Ligurie arriva. Préparatifs. Achats et provisions, comme si en Ligurie on ne troubait pas d'eau minérale! Mais la chaise avait autres choses à penser... De l'eau minérale... tu parles!
Lorsque la porte de la maison fut fernée, elle attendit d'entendre que le portail du garage s'ouvre, que la voiture démarre, qu'elle maneuvre..., la fermeture, le silence.
Silence. Silence! Libre. Désormais, elle pouvait faire tous les exercices qu'elle voulait, même en plein jour! Elle pouvait même faire du bruit... que les autres chaises l'arrêtent, si elles en avaient le courage!
Elle commença à sauter, à courrir, puis à nouveau à sauter toujours plus haut, puis à courrir de nouveau, toujours plus vite mais sans jamais perdre le contrôle: attention! Attention à ne pas faire tomber des vases, à ne pas déplacer les coupes en argent, à ne pas heurter les cadres, à ne pas s'égratigner, à ne pas se faire mal... tout un tas d'erreurs impardonnables
Ce fut une semaine innoubliable, pouvoir se déplacer sans sans craindre de faire du bruit... S'immaginer d'être aux côtés d'autres chevaux, courrir libre jusu'à l'épuisement, jusqu'à ce que le soleil ait disparu derrière les montagnes et puis, rester là, dans le vent frais du soir, en sueur, à écouter son coeur battre, impétueux. La vie! Cà oui, c'était la vie!
A chaque évolution, elle se racontait ce qu'elle imaginait qui était en train d'arriver. " Voici Flèche, le magnifique destrier blanc, qui traverse sans hésitation et sans fléchir le désert de la mort, où des dizaines de chevaux vaincus par la chaleur et la soif, sont écroulés à terre, inanimés. Voici maintenant, que d'un seul bond, elle passe d'une rive à l'autre du grand fleuve qui a creusé le cañon de l'antilope...."
Lorsque le dimanche soir, elle reprit sa place pour attendre le retour de la famille, elle se sentait prêtte... Oui! Elle se sentait être bel et bien un véritable cheval. Il lui fallait seulement attendre l'occasion...
C'aurait pu être un après-midi d'été... un de ces chauds après-midi où, pour faire circuler un peu d'air, on descend les bâches sur les balcons et on laisse les portes entr'ouvertes. Et alors, sans hésitations, un bond et hop, libre..., libre par les routes du monde, libre de galopper, libre de courir, libre de connaître d'autres chevaux, libres comme elle.
Et cela se passa ainsi.Tout simplement.C'était un des premiers jours de juillet, un mercredi, aux premières heures de l'après-midi. D'un bond d'une grande élégance, la chaise se retrouva dans la rue... Il n'y avait presque personne, il faisait trop chaud et beaucoup de gens étaient en vacances. La chaise se retrouva dans la rue et sa vie antérieure était déjà complètement oubliée. L'avocat, les enfants, Madame, Martine la bonne, ses cinq compagnes...brûle vie antérieure, brûle! Flèche est libre désormais. Que se passera-t-il, lorsqu'ils s'appercevront de son absence ? Qui s'en soucie ! Le futur. Ce qui compte c'est seulement le futur. Et maintenant en avant, allez, droit devant, au galop vers les étoiles de l'arc.

La chaise courrait, parfois dans la rue, quelqu'un s'atrrêtait en la voyant arriver, se déplaçait, restait là bouche bée, sans comprendre et puis, regardait autour de lui... c'était une plaisanterie? Il y avait quelque caméra cachée qui filmait les réactions des passants? Où était-elle cachée cette camera?... Bien sur..., quelle idée, une chaise qui court toute seule dans la rue... mais où est le truc? Des fils? Mais qui la fait bouger? Elle est peut-être télécommandée... un robot... ce doit être un truc japonais... ou bien non, chinois... aujourdhui les chinois...
Mais la chaise était passée désormais, elle avait tourné à l'angle et on ne la voyait déjà plus.
Où allait-elle? Droit devant. Tout droit vers les étoiles de l'arc. Tout droit et loin, loin de cette maison, loin de ces rues du centre ville, loin de cette prison.


V


Les belles maisons du centre ville avaient disparu, les rues maintenant étaient bordées d'immeubles gris. Les rideaux métalliques des magazins étaient encore baissés et pleines de grafittis, ceux que les jeunes dessinent la nuit avec des bombes de peinture. Parfois, une esplanade ou même un terrain inculte en instance de cosntruction, s'ouvrait entre deux immeubles.
A un certain point, après les dernières maisons, dans un espace nettement plus grand que ceux qu'elle avait vus jusqu'ici... un  enclos fait de barrières, de caravanes et, au milieu, un énorme chapiteau de cirque à rayures blanches, bleues et rouges et plein d'étoiles... et des lumières... des lumières intermittentes.
Jusque là, elle n'avait vu de cirque, que seulement à la télévision. Elle se rendit compte à cet instant, qu'elle n'avait vu un tas de choses, seulement à la télévision. Evidemment, en restant toujours au salon, on ne pouvait rien voir d'autre que la télévision. Elle se souvenait qu'au cirque, on pouvait voir des jongleurs, des trapezistes, des acrobates, des clowns,...mais surtout des animaux dressés. Quelle émotion! Elle aurait pu enfin rencontrer des chevaux pareils à elle!... Oui, les tigres aussi sont intéressants, et aussi les éléphants sont capables de faire des exercices... les éléphants, grands dieux, l'énorme postérieur de la maitresse de maison lui vint à l'esprit... non, non... pas de tigres, éléphants, phoques, ou serpents... des chevaux! Elle voulait rencontrer des chevaux.
Elle sauta les barrières avec aisance et assurance, comme si elle n'avait jamais rien fait d'autre de toute sa vie et elle se dirigea sans hésitation vers les cages où étaient parqués les animaux, entre deux spectacles.
Il y avait une puanteur dans l'air, qui rendait l'ambiance peu agréable. A dire vrai... l'éléphant venait de juste de faire trente kilos de crotte... bien sur, c'est dans sa nature... mais, la puanteur, ça pue.

Le premier animal qu'elle rencontra fut un paon. On le gardait au cirque parce, lorsqu'il fallait changer de décor entre deux numéros, il sortait sur la piste, faisait un tour... et quand il faisait la roue, il y avait toujours le choeur habituel des "oh"... mais à part ça; il ne savait pas faire grand chose.
La chaise s'approcha de lui. Le paon, se sentant observé (même s'il ne comprenait pas très bien ce qui se passait) se souleva, bomba le torse et il commença à marcher lentement, droit devant lui. On aurait dit presque qu'il attendait que quelqu'un lui demande de faire la roue... pour pouvoir refuser. Il adorait se faire prier. Il ne vint pas le moins du monde à l'esprit de la chaise, de se mettre à prier le paon... elle avait bien d'autres choses en tête, et donc avec une certaine dose d'ingénuité insolente, elle demanda: " Pardon, sais-tu où je pourrais trouver mes semblables?"
Le paon resta interloqué. Il ne comprenait pas. La chaise ne lui demandait donc pas de faire la roue? Et surtout... de quels semblables parlait-elle? D'autres chaises? A part que dans le cirque il y avait des bancs et non des chaises... Il resta là, immobile, le regard fixe, dans le vide... un regard pas très intelligent, pensa la chaise; et alors, elle répéta sa demande mais un peu plus clairement: "Pardon, où sont les chevaux?"
La paon fut encore plus interloqué, il commença à émettre un bruit étrange... un gargouillis qu'on ne comprenait pas. On aurait dit qu'il avait avalé quelque chose de travers. Peut-être avait-il peur... mais il ne réussissait pas à crier, peut-être tentait-il de rire... mais il ne réussissait pas à respirer. Il restait ainsi, planté là.
La chaise comprit qu'elle avait rencontré un parfait imbécille. Si elle voulait rencontrer les chevaux elle devait aller les chercher toute seule, et c 'est ce qu'elle fit. Elle prit congé du paon et en avant. Elle passa près de plusieurs cages, l'une avec un couple d'éléphants endormis qui ne s'apperçurent même pas de sa présence, une autre avec des singes qui, lorsqu'elle la virent, commencèrent à hurler comme des fous de terreur, une autre encore avec un lion, très occupé avec sa lionne... lorsqu'il la vit, il s'arrêta un instant, puis comme si de rien n'était, il reprit son affaire.
Finalement, dans un enclos, dans un endroit en plein air, les voilà! Douze liptzans, manteau gris, en sueur mais très élégants... exactement comme elle. Ils se reposaient après le travail d'après-midi... Leur dompteuse était entrain de les dresser pour un nouveau numéro, quelque chose qui ne se fait qu'à la Haute Ecole de Vienne. Maintenant ils étaient seuls et ils attendaient que les lads, armés de seaux et de brosses, viennent les étriller , les nettoyer et les raffraichir.
La chaise s'approcha de l'enclos; elle était heureuse et émue... elle ne savait pas bien quoi dire... comment s'adresser à ces splendides animaux. Elle resta là, qelques instants en silence, espérant que l'un d'entre eux la reconnaisse et s'adresse à elle, mais personne ne lui fit un signe.
Elle prit alors alors son courage à deux mains et elle prit l'initiative: "Salut les gars... c'est moi, Flèche...".
Ses paroles ne suscitèrent aucun enthousiasme , seuls trois d'entre eux se retournèrent pour la regarder en levant un peu la tête. On aurait dit qu'ils disaient: "... C'est à nous que tu parles?".
Flèche poursuivit: "... je me suis enfuie de la maison cet après-midi et j'ai traversé toute la ville en courant,... au galop...".
Un des chevaux fit un signe aux autres et il se tourna de l'autre côté; la chaise crut entendre une phrase à mi-voix: "Pas de familiarité... faites comme si de rien n'était...".
La chaise n'avait certes pas un caractère à abandonner facilement et puis, elle avait sans doute mal entendu.
" Les gars, je suis entrain d'aller à la recherche des grandes prairies... Là-bas, nous pourrons enfin courrir en toute liberté... Là-bas il n'y a ni enclos ni dompteur avec des fouets... Là-bas, personne ne vous contraindra à faire des exercices stupides et fatigants...Allez, venez vous aussi; pour vous, il suffira d'un instant pour sauter!".
Les chevaux étaient seulement légèrement agacés; ils échangèrent quelques coups d'oeil perplexes et ils s'éloignèrent de la proximité de la chaise presque avec indifférence. Quelques instants plus tard arriva un lad avec des seaux et des brosses et les chevaux allèrent immédiatement à sa rencontre.
La chaise le prit très mal. Ils ne lui avaient même pas adressé la parole... c'est vrai qu'ils étaient les liptzans; eux, ils travaillaient dans un cirque, lorsqu'ils faisaient leurs évolutions ils recevaient des applaudissements et des morceaux de sucre mais, la liberté... la liberté c'est la liberté... et les grandes prairies..!
Elle resta là, à les regarder encore quelques instants, puis elle commença à s'éloigner... en marchant.
Lorsqu'elle eut parcouru une vingtaine de mètres, elle s'arrêta et se retourna pour regarder encore uen fois ces splendides animaux.
Il lui sembla que le gris de leur manteau était plus gris que blanc... et il lui sembla aussi que l'un des chevaux, le plus petit, sans doute le plus jeune, se soit retourné pour regarder dans sa direction.


VI

La chaise était un peu déçue, nul ne peut le nier. Elle avait imaginé que les chevaux auraient cueilli l'occasion et qu'ils seraient partis tous ensemble.
Qu'est-ce qui n'avait pas fonctionné? Pourquoi un tel comportement ? Quelques fois à la télévision, elle avait entendu parler des étranges comportements et des étranges psychologies des êtres humains, mais elle aurait juré que les chevaux, tout comme elle, raisonnaient de façon différente.
Elle n'avait plus envie de courrir pour aujourd'hui. Elle marchait d'un pas rapide, ça oui, mais l'enthousiasme et l'envie de courrir, lui étaient passés ce jour-là.
Malgré tout, elle était contente. Les rues goudronnées avaient pris fin: les blocs d'immeubles étaient loin et on ne sentait seulement que l'odeur de l'herbe et la fraîcheur de la brise du soir. Elle marchait maintenant dans les champs depuis plus d'une heure, lorsqu'elle se rendit compte que sa route croisait un canal dans lequel l'eau qui servait aux paysans pour irriguer les champs coulait, très impétueuse.
Elle aurait voulu d'un simple bond, passer sur l'autre rive, mais en vérité elle eut un peu peur... elle commençait à être fatiguée; et si elle tombait à l'eau? Où le courant aurait pu l'entraîner ? Elle n'avait pas peur de se faire mal mais plutôt d'aller s'encastrer dans les écluses et d'y rester bloquée. C'était un  risque que, même si hautement improbable, elle ne pouvait absolument pas se permettre de prendre. Il valait mieux longer le cours d'eau jusqu'à ce qu'elle trouve un pont ou un point où pouvoir traverser en toute sécurité.
Elle chemina et elle commença à observer autour d'elle ce nouveau paysage méconnu. Bien vite elle se retrouva près d'une rangée d'arbres qui flaquaient le canal. Le soleil se couchait , le vent passait dans les branches, les seuls bruits qu l'on entendait était le froissement des feuilles et le gargoullis de l'eau. C'était très beau et elle avait désormais cessé de penser aux chevaux du cirque. Elle s'arrêta un instant, elle voulait jouir pleinement de ce premier soir de liberté.
Tout d'un coup, elle sursauta; une voix en colère lui avait intimé de façon péremptoire: " Alors, tu dégages ou non !?" la voix venait d'en haut... qui pouvait bien lui parler? la chaise se retourna d'un coup et elle se mit à regarder à travers les branches.
"Ne me regarde pas, crétine!.. regardes de l'autre côté du canal!"
"Mais, si tu es sur l'arbre, pourquoi devrai-je regarder de l'autre côté du canal ?",
"Parce que si tu regardes vers moi, ils me découvrent, crétine!"
Deux phrases et deux "crétine!"  qui que ce soit qui était sur l'arbre, ce n'était certainement pas quelqu'un de très sympatique.
" Pardon mais, qui es-tu ? Que fais-tu sur cet arbre ?"
"Mais qui est-ce qui me l'a fichue, cette-là ?  Mais il faut que ce soit juste à moi que tu dois gâcher la journée ? C'est tout un jour que je guette un gros rat qui s'est caché dans ce tronc, et voilà qu'elle arrive celle-là, à prendre l'air frais du soir, juste devant mon repas".
"Excuse-moi..., je ne voulais pas..." ; mais la chaise ne fut même pas à temps de finir sa phrase, qu'elle entendit un battement d'ailes nerveux, dans les feuillages, elle reconnut un petit faucon qui s'éloignait rapidement et elle entendit encore quelques mots: " Fous le camp!"

La poésie du soir et du coucher de soleil, avait disparu tout d'un coup.
" Le monde dehors, est vraiment différent de ce que l'on peut immaginer...".
En effet! Ce qui arriva à ce moment-là, elle n'aurait vraiment pas pu l'imaginer, même si on le lui avait raconté.
Tout se passa en moins d'une seconde. Un rat, long d'au moins trente centimètres bondit de dessous un tronc, attrappa quelque chose dans la boue et tira avec force. C'était la tête d'un petit serpent qui commença à se débattre pour tenter de se libérer mais le rat l'vait saisi à la tête et il ne lachait pas. Tout de suite deux autres rats apparurent et eux aussi, se jettèrent sur la proie. Deux fortes secousses et le corps du petit animal était en lambeaux. Les rats, très voraces, avalèrent le tout en quelques instants.
C'est à ce moment-là que le premier s'adressa à la chaise: "Merci l'amie!... ce bâtard, me guêttait depuis deux heures... il m'avait choppé juste au moment où j'étais sur le point de bouffer ce bonbon...J'ai eu juste le temps de me planquer sous la branche... et l'autre là, s'est tapi dans la boue... je l'ai surveillé tout le temps!... Ah! Misère... Au faucon, lui, tout lui convient, s'il l'avait vu, il se le serait bouffé... et au contraire, c'est nous qui l'avons bouffé! (et là, les trois rats rirent de bon coeur)...merci quand même, si tu n'étais pas venue, ce soir, je ne sais pas..."
"Je vous en prie, il n'y a pas de quoi... et puis, je ne l'ai même pas fait exprès..."
"Mais toi, que diable fais-tu par ici?" dit l'un des rats.
" Je suis entrain d'aller vers les grandes prairies..., je suis un cheval, un destrier... Je m'appelle Flèche... Je veux combattre avec les apaches...".
Les trois restèrent un moment silencieux.
La chaise disait qu'elle était un cheval.
" Karim, est complètement ouf, celle-là ", dit le plus petit des rats, qui fréquentait les égouts de la ville et qui avait entendu que là-bas, lorsque quelqu'un était un peu fou, on disait des phrases de ce genre.
La chaise comprit que son discours pouvait susciter quelque perplexité mais elle était aussi sure que bientôt, passée un premièr moment de confusion, même les rats auraient trouvé tout, très naturel.
"Voyez-vous, je me suis enfuie de la maison, après-midi et j'ai traversé toute la ville en courant... au galop... je vais en quête des grandes prairies... là-bas, je pourrai courrir librement... pourquoi ne viendriez-vous pas, vous aussi? Là-bas, il n'y a pas de faucons affamés...là-bas, personne ne vous contraindra à vous cacher sous les troncs... là-bas, nous serons tous libres... allez... nous pouvons faire le voyage ensemble...".
Les rats étaient très embarassés. La chaise les avait tirés d'un mauvais pas et eux, ils ne voulaient pas paraître impolis... mais celle-là délirait maintenant, de chevaux, de prairies et d'apaches...
"Vois-tu chère chaise, nous te sommes très reconnaissants pour ce que tu as fait pour nous aujourd'hui et si jamais tu avais besoin... nous, à coup sur, nous ferions tout notre possible pour t'aider.... nous aimerions aussi venir avec toi... qui n'aimerait pas vivre dans les grandes prairies... avec les pur-sang... comme toi (il dit "comme toi", un peu à voix basse) et qui ne voudrait pas combattre avec les apaches... qui ne le voudrait pas... mais sais-tu, nous, nous sommes une grande famille; là tu ne vois seulement que moi, mon cousin Elis et son fils Kevin... mais moi, j'ai des dizaines de fils, certains très petits, j'ai plusieurs femmes... des jeunes, des autres moins jeunes, j'ai des dizaines de frères, des centaines de neuveux, des centaines de cousins, des miliers de fils des cousins... si nous venions avec toi, toute la grande famille devrait suivre... nous devrions recevoir l'approbation des anciens et de toute la tribu... Nous avons beaucoup voyagé avant de trouver cette terre où, grâce à Dieu, nous arrivons à vivre en paix avec presque tout le monde... il y a des petits faucons dans le coin, c'est vrai, et en ville il y a encore quelque chat qui nous pourchasse... mais plus par jeu que par faim... ils font cela pour contenter leurs patrons mais tout bien considéré ce sont de bonnes bêtes aux aussi... en somme pour faire court... nous sommes bien ici, ici nous avons planté nos racines, cette terre est la notre, c'est ici que sont nos égouts... si nous quitons cet endroit, qui peut nous garantir que nous trouverons une autre terre aussi accueillante et hospitalière que celle-ci ? Nous te remercions encore pour ce que tu as fait pour nous mais nous ne te suivrons pas, nous pouvons seulement te souhaiter bon voyage et bonne chance. Adieu".
Ceci dit, les trois firent un signe d'adieu avec leur patte et ils disparurent en vitesse le long des rives du canal. Dès qu'ils se furent éloignés un peu, la chaise entendit de gros rires... quelqu'un répétait quelques phrases du discours de Karim: "... qui n'aimerait pas vivre dans les grandes prairies...", et puis tout d'un coup des rires à gorges déployée, "...grâce à Dieu, nous réussissons à vivre en paix avec tout le monde..." et encore des rires.
"Sans doute se sont-ils moqués de moi...", pensa la chaise... " Bon, chacun est libre de vivre comme bon lui semble... bien sur préférer rester dans les cloaques, plutôt que d'aller à la recherche des grandes prairies.... moi, je ne comprends vraiment pas...".


VII

Déjà il faisait nuit. Pas de lune et, à la seule lumière des étoiles, on n'y voyait guère. Continuer pouvait se révéler dangereux. Elle aurait pu heurter un obstacle et se faire mal; ou bien, elle aurait pu tomber et rester coincée qui sait où... et si elle tombait dans les sables mouvants, qui l'aurait secourue ? Mieux valait rester là, se reposer et attendre la lumière du jour.
Elle scruta attentivement le ciel pour trouver les étoiles de l'arc et lorsqu'elle les trouva elle se sentit apaisée, elle savait dans quelle direction aller. Elle était heureuse, même si les expériences de la journée avaient été quelque peu décevantes... mais demain !
Demain...Le jour suivant, la chaise se réveilla aux premières lueurs de l'aube. La première chose qu'elle vit, fut un gros chat roux qui la fixait. Elle se pencha légèrement vers lui et le salua d'un gentil: "Bonjour". L'autre ne répondit pas, il écarquilla les yeux et courba l'échine. Craignant qu'il n'ait pas compris, elle répéta toujours gentiment, d'une voix un peu plus soutenue: "Bonjour".
Le chat, méfia nt, ne lui rendit pas son bonjour mais il demanda: "Pourquoi parles-tu?"
" Oui, je sais... je ressemble encore à une chaise mais en réalité, je suis un cheval... je suis un destrier blanc, libre et sauvage. Je me suis échappé de chez moi pour rejoindre les imenses prairies et combattre aux côtés des Apaches..."
" Tu es... folle?" demanda sérieusement le chat, qui s'était légèrement détendu et en proie à une évidente perplexité.
"Je ne crois pas... non... je ne le crois vraiment pas".
" Qui t'a transportée jusqu'ici ? Pourquoi t'a-t-on abandonnée?,"
" Personne ne m'a transportée... Je suis venue avec mes pattes".
Silence incrédule du chat.
"Regarde!" La chaise tourna sur elle-même et puis avança d'un pas vers lui, qui écarquilla les yeux à nouveau, comme au début. La pauvre bête était étourdie, elle ne savait vraiment plus que penser, elle restait là et la fixait en cherchant à comprendre. La chaise se dit qu'elle ne pouvait demeurer là toute la journée, à attendre que l'autre comprenne; alors, elle prit l'initiatiive. "Pardon, peut-être pourrais-tu m'aider... je devrais passer de l'autre côté de ce canal... mais j'ai peur que si je saute par dessus ce bras qui est si large... si je tombe, qui sait où le courant m'emportera... tu saurais me dire où trouver un passage pour aller sur l'autre rive?"
Le chat se reprtit un peu: "Mais certainement... un peu plus loin il y a un pont... il y font passer dessus les engins agricoles de la ferme... si tu veux je t'accompagne, de toutes façons je dois rentrer moi aussi..."
"Volontiers, merci!".
La journée était lumineuse et le temps, agréable. A cette heure de la matinée, il ne faisait pas encore trop chaud. Tous les deux marchaient en silence. Elle était contente d'avoir trouvé quelqu'un avec qui faire un bout de chemin; de temps en temps, elle jetait un oeil sur la campagne alentour, des terres cultivées, du riz, du blé, du maïs, et elle prenait bien garde à ne pas trébucher.
Lui, tentait de comprendre... S'il disait à tout le monde qu'il avait parlé à une chaise... Pire encore!.. qu'il  l'avait aussi accompagnée sur le pont du canal... il n'aurait jamais plus pu sortir pour le restant de ses jours...
Il voyait déjà les oies: " Hé, l'rouquin, qu'est-ce que t'as fait cette nuit... t'es allé au bal de Cendrillon avec la crédence . ou bien t'es resté à la maison, à causer de politique avec les persiennes? ".
Non, non, non...silence... silence absolu... il n'y avait aucun témoin... personne n'avait rien vu...personne ne savait rien... et si jamais quelqu'un s'était rendu compte de quelque chose et avait fait courir quelque bruit: nier, nier, nier absolument.
Ils arrivèrent au pont, le passèrent, et là, le chat montra la ferme: "Bon, je suis arrivé... voilà la ferme... j'habite là... maintenant il faut que  j'y aille".
Il ne voyait pas l'heure de se sortir de cette situation embarasante.
"Merci... merci pour les indications et pour la compagnie... mais excuse-moi..., là-bas à la ferme, il y a des animaux?
Y a-t-il des chevaux? " Le chat aurait préféré ne jamais entendre ce que la chaise dit tout de suite après: ""... peut-être pourrai-je trouver quelqu'un qui veuille venir avec moi jusqu'aux grandes prairies...".
Pauvre chat, il était trop confus pour avoir la présence d'esprit et le courage de mentir; " Il y a deux chevaux mais ce sont des chevaux de trait... ils ont travaillé toute leur vie , je ne crois vraiment pas qu'ils aient envie de se mettre à voyager... en plus avec une chaise...".
"Je ressemble à une chaise mais, je suis un splendide destrier!" répondit-elle, irritée, " ... et quels autres animaux y a-t-il à la ferme...?".
"Il y a des oies... je ne te souhaite vraiment pas de voyager avec elles... elles ne savent rien faire d'autre que jaser et se moquer du monde... insupportables... moi j'attends seulement octobre et novembre, que le maître les prenne une par une et leur torde le cou..."
"Mon Dieu, quel horreur!...",
"... ça dépend... les gens qui les achètent lui font toujours des compliments, ils les emportent en France, ils les cuisinent dans les meilleurs restaurants.... avec leur foie ils font du foie gras... il paraît que c'est très bon... même si moi, je n'en ai jamais goûté...".
"Elles pouraient s'enfuir... partir avec moi...",
"Penses-tu! Ici, elles ont à manger jusqu'à en exploser... le maître leur dit toujours: "mangez, mangez, après vous irez en France" et elles, qui sont un peu bêtes, ne veulent pas comprendre ce qui arrivera en France..."
"Les pauvres... et les autres animaux?",
"Il y a des cochons, et des vaches... ils se croient très importants... ils ne parlent pas avec moi... ils me méprisent, disent que je suis un parasite, que je mange à l'oeil et que je ne fais jamais rien..."
"... Parce que... tu travailles, toi ?",
"D'après toi, qui éloigne les rats de cette ferme ! Les rats, s'enfuient rien qu'en sentant mon odeur... ils se chient dessus! Dessus qu'ils se chient!... Si je n'étais pas là, tu sais, ici...ici, il n'y aurait même plus de portes! Tout qu'ils mangent, ceux-là! Tout! Mais ici ils n'osent pas... Ils savent qu'ici, il y a le Rouquin! Et le Rouquin ne pardonne pas! Mais que veux-tu qu'ils comprennent, eux! Manger, faire des gosses, se faire traire... les truies... Elles sont bien bonnes celles-là... elles qui me disent que je ne fais rien... qu'est-ce qu'elles font elles ? Elles s'accouplent... font des enfants... puis je jettent à terre dans la boue... les tétons à l'air, à se faire sucer par leurs petits... moi, ce qui me dégoûte  le plus c'est la façon dont elles se jetent dans la boue... elles restent là... des fois, il y a aussi une crotte et elles, se jettent dessus sans même regarder... elles vivent comme des bêtes... si tu aimes la puanteur, deviens amie des porcs...".



VIII

Tout en bavardant, ils étaient arrivés à l'entrée de la ferme. Le chat, rougissant un peu, s'adressa à la chaise, qui maintenant était devenue son amie: "Pardon... s'il te plaît... pourrais-tu rester un peu en arrière? Si l'on me voit avec toi... c'est fini pour moi, ici... ne te vexe pas... je te l'ai dit... les autres ne comprennent pas...",
"Tu as raison. Tu as été si gentil pour moi... je comprends... je ne veux pas te gêner, passe devant";
le chat ne s'était éloigné que de trois mètres, quand tout d'un coup on entendit une voix horrible:
"Tel ki,ke l'è riat! Ol resta 'n gir tutta la notte... e pò , quan ke 'l gh'ha fa i so comodi tel ki k"ol s"fa vet... malnat d'un malnat"[1]; et après une courte pause, après avoir vu la chaise tout près: " Ki el, l'gh'a purta ki quela cadrega qua?".[2]
L'affreuse chose s'éloigna rapidement: on comprenait qu'il s'agissait d'une femme, du fait que son vêtement laissait les mollets à l'air, et devant, sur le ventre rond, elle portait un tablier graisseux.
La chaise sentit le danger. Elle regarda autour d'elle, il n'y avait personne. Même le chat avait disparu. Elle se déplaça du côté opposé à celui duquel la femme était partie et elle se retrouva près de la porcherie.
Le chat avait raison. Une truie énorme, dégoûtante, somnolait étendue à terre, pendant que sept porcelets lui suçaient les mamelles. Flèche aurait voulu l'appeler, l'inviter à partir avec elle, mais elle ne savait même pas comment commencer son discours. Elle prit son courage à deux mains: "Ecoute!... Ecoute!..."
L'animal dérangé, ouvrit un oeil, souleva la tête un petit peu, la regarda. Elle semblait lui dire: "Tu ne vois pas que j'ai à faire!?", et elle se recoucha.
"Bon, j'aurais au moins essayé", se dit la chaise. Elle regarda autour d'elle, vit l'affreuse femme qui s'en retournait, tenant le tablier par les coins... dedans, il y avait quelque chose qu'elle ne pouvait voir. Lorsqu'elle passa près d'elle, elle s'arrêta un instant; elle regarda autour d'elle comme si elle cherchait quelqu'un... elle devait surement se demander, qui avait déplacé la chaise. Heureusement elle avait les mains occupées et elle s'éloigna donc sans rien faire.
Celle-là... elle pouvait être dangereuse; il fallait se mettre à l'abri au plus vite. Flèche se mit à courir, à la recherche d'un endroit plus abrité, un endroit surtout où la femme ne pourrait pas la revoir. Elle courrait encore lorsque, depuis un enclos tout proche un terrible vacarme  retentit.
Une oie l'avait vue passer et elle avait commencé à hurler: " Attention! Attention! Un monstre! Un extraterrestre! Attention! Attention!" Elle s'était dressée, le cou tendu vers le haut.
Très vite, toutes les autres oies s'étaient levées et hurlaient... on ne comprenait absolument rien. La ferme toute entière rasonnait de leurs cris.
La chaise s'enfila dans l'étable. Elle était effrayée, oui, il fallait bien l'admettre. "Zut alors... la ferme est une endroit vraiment très dangereux!".
Elle regarda autour d'elle, une humidité chaude et dense stagnait dans l'air. Des centaines de mouches bourdonnaient, passant du foin aux murs, des grandes tartes de crotte aux animaux... lorsque l'une d'elles se posa elle, un frisson la parcourut et elle éprouva une sensation d'horreur.
Elle prit son courage à deux mains et elle s'adressa à une grosse vache qui était près de la porte: " Salut... comment t'appelles-tu?",
"Tu vois pas que je mange?",
"Je voulais seulement savoir comment tu t'appelles... moi cv'est Flèche... je ressemble à une chaise mais je suis un cheval... et même un destrier... je vais aux grandes prairies... là-bas, je pourrai courrir librement...",
"Et alors?",
"...Peut-être y aura-t-il quelqu'un qui voudra venir avec moi...rien que pour ne pas faire la route toute seule... ça ne te plairait pas de venir aux grandes prairies?",
"Mais tu ne vois pas que je dois mettre bas dans quelques jours? Où as-tu la tête?" La grande vache secoua sa grosse tête. " Sympa, se ballader et ne rien faire... et après, qu'est-ce qu'ils vont manger, les gens... moi, ici, je travaille, j'ai toujours travaillé... un veau tous les deux ans et plus de soixante litres de lait par jour... tous les jours! Ici, il n'y a ni samedi ni dimanche... Manger, faire du lait, faire des veaux...",
"Et ça te plait?",
"Et comment! ... Tu n'imagines pas la satisfaction lorsque le fermier vient et que tu l'entends dire: " allez, quel beau petit veau que nous a fait la Lola cette année encore... brave Lola, brave... et qu'il te donne une belle tappe sur le cul... ça c'est des satisfactions...",
"Je comprends, je comprends... et naturellement, ici toutes tes compagnes pensent comme toi...",
"Tu parles! Nous travaillons ... toutes... nous avons toujours travaillé... ici, pas de place pour des lubies! Si on ne travaille pas, on ne mange pas",
"Je comprends... alors, bon travail...",
Un horrible taon s'était posé sur son tissus et tentait de manger un petit morceau de fibre. Flèche devait sortir au plus tôt de cet endroit tertrible, elle espérait seulement de ne pas rencontrer à nouveau la femme au tablier sale.
"Allez, viens... viens par là",
C'était la voix du chat qui s'était caché dans un coin et qui avait entendu toute la conversation.
"Salut, Rouquin!",
Flèche le suivit dehors, enfin de l'air pur et de la lumière! Les mouches rentrèrent dans l'étable, les oies recommençaient à s'agiter mais, avant que l'une d'elles se mette à nouveau à criailler, le Rouquin les fait taire d'autorité, d'un péremptoire: " Assez, imbecilles! La ferme, crétines!"
Les oies restèrent plantées là, stupéfaites, à gargouiller.
Le Rouquin qui connaissait chaque recoin de la ferme, conduisit Flèche hors de ce lieu, en sécurité. Ils passèrent aussi devant les deux vieux chevaux; ils étaient là dans un enclos; il y avait un bassin avec un peu d'eau et un petit tas de foin, dans un angle. Ils somnolaient, fatigués, ils attendaient. La chaise les regarda et elle eut pitié d'eux. Désormais, la liberté, pour eux...
"... Ecoutes Rouquin... pourquoi ne viens-tu pas avec  moi... nous partons ensemble...allons chercher les immenses prairies...",
Le Rouquin s'arrêta un instant: "Moi, j'ai déjà ma liberté. Je vais, je viens... quand je veux, où je veux... dans le coin, c'est plein de chattes... et moi, je fais ce que bon me semble... ici, il y a toujours quelques chose à manger pour moi... je ne reçois d'ordres de personne... tous me respectent. Je ne déisre rien de plus que ce que j'ai déjà".
Ils se remirent à marcher: " Tu as raison... pourquoi prendre des risques, on en peut jamais savoir ce qui peut nous arriver en route...",
"Maintenant, continue tout droit, jusqu'à la fin du mur; là-bas, tournes à droite... et bonne chance", et ayant dit cela, il fit demi-tour et retourna à la ferme. Il était un peu triste que la chaise s'en aille, il n'avait jamais parlé avec personne, comme avec elle. Il se sentait changé et il savait qu'il ne l'oublierait jamais.
Flèche arriva au bout du mur, regarda à droite et sentit, même si elle ne les voyait pas que les cinq étoiles de l'arc étaient là. Allez, en route


IX

En direction de la route, on ne voyait rien que des arbres et des champs cultivés; il lui fallait faire la route toute seule mais finalement, cela valait mieux que de courir certains risques...
Flèche marcha une petite heure, elle était heureuse et, de temps en temps, elle fasait un petit bout de course, elle imaginait être déjà dans les immenses prairies, sauter un obstacle, monter sur un rocher et de là-haut, sous la lune, rester là à écouter le fleuve qui coulait en bas, dans le cañon. Elle éprouvait une grande joie au plus profond de son âme!
A un certain point, montée sur un cumulus de terre, elle vit passer un fourgon sur la route. Sur le côté, il était écrit: Institut de recherches médico-scientifiques.
Etrange. Où pouvait bien aller en pleine campagne, un fourgon de l'institut pour les recherches médicales et scientifiques ? Flèche se lança à sa poursuite, à vrai dire, elle restait en arrière, bien que le fourgon ne progressât que lentement sur la route, il n'y avait qu'une seule route et elle ne pouvait donc pas se tromper.
Après une centaine de mètres, le fourgon s'arrêta devant un portail. Sur la clôture, surmontée d'un triple rang de barbelés, un écriteau: Centre d'élevage et de dressage de chiens de garde. Le fourgon avait klaxonné et quelqu'un était sorti pour ouvrir le portail.
Le fourgon était entré. La chaise s'approcha et se mit à observer la scène. Les hoimmes avaient ouvert le hayon posterieur et étaient entrain de faire monter... deux, quatre, six, huit... chiens. Ceux-là ne ressemblaient pas vraiement à des chiens de garde... et que pouvaient bien faire huit chiens de garde à l'institut pour les recherches médicales et scientifiques? Flèche était une chaise, ou peut-être un destrier, peut-être était-elle une ingénue, pleine d'espérances qui croyait pouvoir réaliser ses rêves mais, à coup sur, elle n'était pas une idiote.
Le sort des huit chiens avait un nom bien précis... vivisection.
Flèche était une ingénue mais il ne lui manquait certes pas de courage, et en certaines occasions, elle n'avait aucun doute sur ce qu'il convenait de faire: Elle devait avertir les chiens. Elle devait empêcher le massacre.
Le hayon se referma; le chauffeur et l'homme du chenil signèrent quelques papiers, se serrèrent la main et se saluèrent: "A dans quize jours!" "A la prochaine".
Le fourgon repartit, franchit le portail; l'homme qui était resté, sortit un moment sur la route, regarda tout autour, pour voir s'il n'y avait personne qui gêne... il ne s'apperçut même pas de la présence de Flèche, il ferma bien le portail et il retourna dans l'édifice.
Flèche jetta un oeil vers la clôture... elle regarda le fil de fer barbelé avec détermination... c'était le moment! Elle allait sauter! Il fallait accomplir une mission... sauver des dizaines de chiens innocents... elle aurait raconté cela aux chevaux des apaches... cette fois où elle, sans crainte de se faire mal, sans peur de se blesser, elle avait sauté par-dessus la clôture... et eux, ils l'auraient admirée.
Elle s'éloigna à une vingtaine de mètres de la clôture, regarda l'obstacle à franchir d'un air décidé, rassembla toute son énergie... et hop! Une course, un saut!..., elle vit le fil de fer barbelé sous elle... il lui semblait qu'elle se tendait jusqu'à se déchirer la toile... mais un vrai destrier ne commet pas d'erreurs dans les moments décisifs... elle atterrit de l'autre côté, et même avec une certaine élégance... dommage qu'il n'y ait eu personne pour la voir! Mais ce n'était certes pas le moment de se complaire de sa propre habileté. Elle commença à se déplacer autour de l'habitation, cherchant un passage... cherchant les cages où étaient enfermés les animaux. Elle les trouva presqu'instantannément. Elle alla vers la cage où étaient enfermés les animaux les plus grands... lesquels, ne comprenant pas ce qui se passait, commencèrent à découvrir et montrer les crocs. Evidemment, ils étaient convaincus d'être terribles. A la chaise, au contraire, ils ne faisaient pas d'effet particulier... et puis, elle, elle savait... elle était là pour une mission, pour un sauvetage... elle devait seulement s'expliquer.
"Les gars... j'ai découvert quelque chose de terrible... vous croyez que l'on vous élève pour faire de vous des chiens de garde... mais ce n'est pas vrai...",
"Qui tu es, toi ? .. Qui t'a envoyée?.. ici c'est un centre de dressage ultra-secret... comment es-tu parvenue jusque là ?",
"Faites gaffe les gars,...ce doit être un provocateur, envoyé pour nous mettre à l'épreuve",
"... Et quel serait selon toi, le motif pour lequel on nous élève ?",
Les trois chiens qui avaient parlé, après avoir fini leur discours, recommençèrent à montrer leurs crocs acérés et à menancer.
"Vivisection... je viens de voir un fourgon de l'institut de recherches médicales et scientifiques, emporter huit d'entre vous... et j'ai aussi entendu dire qu'ils se reverraient dans quize jours... dans quinze jours, ils viendront ici prendre d'autres chiens... que voulez-vous qu'ils fassent tous les quinze jours de huit chiens de garde ?",
"Bobards! Des chiens de notre race, des chiens forts comme nous, des chiens avec des crocs comme les notres... ne se gaspillent pas pour faire des expériences...",
"Nous sommes connus pour notre fidélité à nos maîtres... tous savent combien nous sommes fiables... et méchants!",
"Nous sommes des guerriers... les meilleurs... et toi t'es qui ? Qui t'a permis de venir nous parler de la sorte ?".
Flèche n'avait certes pas immaginé un accueil de ce genre. Elle allait se mettre à raconter toute son histoire... qu'elle ressemblait à uen chaise... mais qu'elle était un destrier... et qu'elle allait en quête des immenses prairies mais elle sentit... elle sentit que les autres n'auraient rien voulu comprendre.
Elle aurait voulu dire que ce qu'elle faisait, elle le faisait par amour de la liberté, de la vérité, de la justice... Mais elle comprit qu'à leurs yeux elle ne serait passée que pour une chaise pathétique et ridicule. Alors elle se tut. Elle s'éloigna en pensant: " Les pauvres... ils croeint être des policiers, ils croient avoir des responsabilités, ils croient être aimés et respectés par leurs maîtres et, au contraire... ils ne sont seulement que de la viande de boucherie... Les pauvres... oui, les pauvres".
Déjà le soir tombait... sous peu, dans le ciel, les cinq étoiles de la constellation de l'arc seraient apparues. Elle devait partir. Cette fois, elle ne prit même pas d'élan... elle fit deux pas et elle sauta encore plus haut qu'elle ne l'avait fait pour entrer.
"Je n'ai besoin de personne... je peux très bien y aller toute seule... je sais très bien ce que je veux et où je veux aller... et j'y vais!".
Elle s'éloigna de l'élevage, regarda le cinq étoiles dans le ciel, éprouva un peu de déception et elle comprit que le moment était venu de se reposer.


X

Les lumières de l'aube n'étaient pas encore apparues, quand Flèche entendit tout près, un intense bruit de pas; mais pas seulement des pas, on entendait aussi les sons de clochettes; légères cependant. Elle regarda au tour d'elle dans l'obscurité et elle vit, non loin de l'endroit où elle s'était installée, un troupeau de moutons somnolents, les yeux mi-clos, qui arrachaient de petites touffes d'herbe et qui avançaient lentement, les uns à côté des autres, surveillés par des chiens de berger et précédés par deux ânes.
Les ânes portaient des saccoches et suivaient deux hommes, des bergers, qui étaient loin devant, assis sur un tronc d'arbre, à attendre, somnolant, eux aussi.
La chaise resta là à regarder quelques instants. Elle aurait aimé que quelqu'un s'apperçoive de sa présence et lui adresse la parole. Après tout, ce n'était pas si naturel que ça de trouver une chaise, seule seulette, en pleine campagne... mais personne ne le fit.
"Courage", se dit-elle, "...montrons-nous!".
Quatre sauts et elle se trouva tout de suite près du groupe. Naturellement, les moutons dont elle s'approcha prirent peur et sans même chercher à l'entendre, s'enfuirent, droit devant eux. Les autres, qui ne l'avaient même pas vue, voyant que les premiers fuyaient, se mirent à fuir eux aussi... L'un d'entre eux, on ne sait sait même pas pourquoi, commença à bêler comme s'il courrait un danger quelconque.
Les ânes s'arrêtèrent et restèrent immobiles, secouant leur grosse tête et on aurait dit qu'ils se demandaient: " mais qu'est-ce qu'ils ont à s'agiter ainsi ?". Dans de telles cirsconstances, ils savaient qu'il fallait attendre que les chiens de berger regroupent le troupeau et que les moutons recommencent à brouter tranquillement.
La chaise fit encore quelque pas. Ce fut un des ânes qui à ce moment-là, après avoir hésité un instant, s'adressa à Flèche: " Tu bouges toute seule? Peux-tu comprendre ce que je te dis ?"
"Oui, bien sur, je bouge toute seule, je comprends ce que tu me dis et jepeux même parler...",
"   Que fais-tu dans cet endroit perdu ?",
La chaise lui raconta toute l'histoire que nous connaissons déjà; celle du cheval Flèche, des grandes prairies, etc, etc..., "...et vous, où allez-vous ?",
"Nous sommes en transhumance... On fait ça chaque année, au printemps on descend vers la plaine, maintenant au contraire nous allons vers les collines et les montagnes pour trouver de nouveaux verts pâturages pour les moutons... tous les jours nous nous déplaçons de quelques kilomètres et au début de l'automne, nous serons arrivés à destination";
"Donc, vous faites toujours la même route ? Tous les ans ? Aller et retour ?..",
"Oui, ce sont les bergers qui décident...",
"Vous n'aimeriez pas venir vous aussi dans les granddes prairies ? Bien sur, vous n'êtes pas des destriers... mais vous seriez libres, vous aussi...",
Les deux ânes retèrent silencieux quelques secondes... le premier secoua légèrement sa grosse tête, regarda l'autre: "... Sur..., sur que ce serait beau...", et l'autre aussi secoua sa grosse tête. Entretemps, les chiens, après avoir calmé et reconstitué le troupeau, s'étaient approchés; ils scrutaient cet espace mi-obscur pour essayer de comprendre cette situation qui, à l'évidence, ne s'était jamais produite auparavant et ils écoutaient avec attention.
Flèche s'adressa gentillement à eux aussi: " ...Et vous, comment vous appelez-vous ?";
Les chiens n'étaient pas du tout convaincus... cependant: "... Moi c'est Rocky, on m'a appelé ainsi parce que, déjà tout petit j'étais le plus fort... Mais lui s'appelle Cirus... aujourd'hui, il est encore jeune, il fait ses classes mais lorsque je prendrai ma retraite, ce sera lui qui surveillera le troupeau... La petite, elle, s'appelle Beba... elle est futée,... elle est intelligente et elle a du courage à revendre... un jour, elle nous a vuis passer, elle s'est attachée à nous et ne nous a plus quités...".
A ce moment-là, un âne intervint: "Elle s'en va vers les grandes prairies... ce doit être très beau... j'aimerais bien... allons-y , nous aussi!";
Rocky, grogna, comme s'il avait vu un loup attaquer les agnelets: "Vous, vous n'allez nulle part! Ne vous avisez pas de faire le moindre pas, sivous ne voulez pas que j'appelle les bergers et que je vous fasse bastonner!";
"C'est pas juste!", tenta de répliquer l'âne mais les trois chienscommencèrent à aboyer avec une telle hargne que les deux pauvres bouricots se retournèrent et  fuirent en direction des bergers où, bien évidemment, ils se sentaient plus en sécurité. D'ailleurs, lorsqu'un chien abboie de la sorte, il n'est plus tellement question de discuter.
Il y eut un moment de silence, chargé de tension: "...Dommage que vous alliez dans la direction opposée à celle où je vais, moi... Je vais vers les cinq étoiles de l'arc... vous voyez, là-bas ?", dit la chaise d'un ton conciliant.
Les chiens se retournèrent pour regarder dans la direction indiquée par la chaise et, de la tête, firent signe d'avoir compris.
"Je suis sure qu'en allant dans cette direction, je trouverai les grandes prairies où vivent les destriers libres et sauvages, comme moi...",
Les chiens se regardèrent; Rocky fit aux autres un clin d'oeil qui voulait dire: "laissons lui croire son histoire, l'essentiel est qu'elle ne mettre plus d'idées saugrenues dans la tête de nos ânes...", puis il la regarda, acquiesca d'un signe de tête et tous les trois retourneèrent à leurs places de garde, surveiller le troupeau.
Les cinq étoiles de la constellation de l'arc commen cèrent à disparaître dans les premières lueurs de l'aube. La chaise reprit son chemin.


XI

Ce jour-là, elle ne fit pas de rencontres particulières. Elle dut traverser un bois et là, elle ne trouva seulement que de petits animaux, affairés à cueillir des graines et des glands à transporter dans leurs terriers. Il y avait des écureuils, des loirs, des petits oiseaux, quelque vipère, un renard et ses renardeaux... de loin, elle vit aussi passer un grand cerf et sa famille. La route devenait de plus en plus difficile, non seulement parce que le bois devenait de plus en plus épais mais aussi parce que le parcours ne cessait de grimper; parfois, elle devait faire de longs détours à cause des branches cassées ou des troncs tombés à terre, qui obstruaient le passage.
Ce morceau de route ne lui plaisait pas, elle avait peur de se blesser, de déchirer la toile de son siège ou de son dossier, c'est à dire d'abimer son manteau... et puis, somme toute, elle avait toujours vécu dans un salon; cette ambiance là lui faisait un peu peur.
Elle marcha tout le jour sans s'arrêter; au soir, finalement, presque subitement la forêt s'éclaicit et Flèche se retrouva face à une plaine verdoyante... très grande... au loin, on voyait des montagnes couvertes de neige sur les sommets. Elle resta là, à contempler, le coeur plein de joie... quel silence, quel air pur!
Elle savait, bien sur, que cette grande plaine n'était pas la grande prairie... mais elle lui ressemblait beaucoup.
Elle voulait se remplir les yeux et l'esprit de tout ce qu'elle voyait, de tout ce qu'elle sentait, à ce moment-là..., un moment merveilleux à se rappeler toute la vie.
Au milieu de la plaine, coulait une rivière et à côté, une route mais il sans aucune auto qui la parcourrait; à un certain endroit, la route passait sur le torrent et, après ce croisement, leurs directions s'écartaient.
Elle resta là à attendre que la lumière du jour disparaisse et que les étoiles s'allument, une à une dans le ciel serein. Elle vit la constellation de l'arc resplendir devant elle, il lui sembla qu'elle n'avait jamais été aussi lumineuse et du fond de son coeur, elle la remercia de l'avoir guidée jusqu'à ce paradis terrestre. Elle regardait le ciel... elle regardait la plaine qui maintenant était devenue noire et elle pensait que le jour suivant, elle aurait enfin rencontré les destriers libres et sauvages et elle se serait jointe à eux.
Elle était émue et elle ne réussit pas à s'endormir, avant tard dans la nuit.
Au matin, lorsqu'elle se réveilla, le soleil était déjà haut. La plaine resplendissait devant elle et, ce qu'elle voyait à ce moment-là, était la preuve qu'elle ne s'était pas trompée; son rêve était devenu réalité, les étoiles de l'arc l'avaient guidée excatement là où elle voulait aller.
Là, près du fleuve, dans une courbe, une bande de chevaux s'abreuvait tranquillement.
C'étaient eux, les destriers libres et sauvages, pour qui elle avait fait tout ce voyage... maintenant, finalement, elle se serait jointe à eux et ensemble, ils auraient couru sur toute la plaine.
Elle se lança au galop vers eux, sauta des buissons, vola au-dessus de quelques roches qui surgissaient du terrain, elle se sentait forte; elle sentait finalement être parvenue à être elle-même.
Elle traversa tout l'espace; elle s'approcha des autres destriers (... vus de près, ils étaient magnifiques) et hennit.
Ils bougèrent à peine... Certains la regardaient avec un petit sourire...
"C'est quoi, c'truc...",
"Aucune idée... ce doit être une blague...",
"Non, je ne suis pas une blague..." et elle raconta toute son aventure, lorsqu'elle vivait dans la maison de l'avocat, quand elle s'était enfuie, toutes ses rencontres, le cirque, la ferme, le bois...en somme, tout le récit de ce qui était arrivé jusqu'à cet instant, l'instant où son destin s'était accompli.
Pendant son discours, de temps en temps, un destrier ricannait; un autre hochait la tête, un troisième écoutait incrédule, le regard fixé vers la chaise ou dans le vide.
Lorsqu'elle eut fini de raconter , l'un des chevaux, le chef, le plus vieux sans doute, hocha la tête: "je n'ai jamais entendu rien de semblable... c'est une histoire vraiment incroyable... Franchement, je ne sais pas ce que nous devons faire...",
"Nous ne devons rien faire... C'est une chaise et nous, nous ne pouvons pas l'accueillir parmi nous!",
"Si nous acceptions cette chaise dans notre tribu, nous deviendrions la risée de la prairie... nous devriendrions la tribu de la chaise!"
Et s'adressant à elle: "Pathétique! Mais comment as-tu pu penser devenir un cheval... comment peux-tu penser que quelqu'un puisse te prendre pour un cheval...",
"Non, pas un cheval... un destrier... et peut-être même que ça lui plairait aussi de prendre pour femme une de nos cavales!",
Le dernier qui parla, dit: "Mais où crois-tu aller avec tes petites pattes en bois?",
Cette fois, Flèche se vexa à mort.
Ils ne pouvaient pas la traiter ainsi! Ils ne pouvaient pas, eux aussi, être si stupides et ne prendre en considération que les apparences les plus banales! Ils ne méritaient même pas une réponse; elle , elle était un destrier bien plus qu'eux; eux étaient nés ainsi et, ils n'avaient rien fait pour mériter d'être ce qu'ils étaient; eux, ils n'avaient jamais poursuivi un rêve, comme elle l'avait fait; elle, elle avait voulu devenir un destrier, elle avait travaillé pour le devenir... et ce ne seraient certainement pas eux qui la feraient renoncer!
Flèche se retourna, lança un hennissement, se leva sur ses pattes de derrière et partit au galop. Une course solitaire et merveilleuse... elle se dirigea vers les confins de la plaine, sautant tous les obstacles sans aucune hésitation, avec une élégance de grand prix et puis allez, le long des confins, allez, allez, allez... elle allait si vite qu'aucun des destriers, là-bas au fleuve, n'aurait pu la suivre, allez , allez, allez, sans jamais s'arrêter, et aucun de ceux-là n'aurait eu sa résistance, allez, alllez, allez... toute la journée... pas un instant de fatigue, pas une goute de sueur!
Une larme, çà oui.
Une larme qui se mèlait aux premières gouttes de pluie.
Il ne s'était même pas rendu compte qu'au cours de l'après-midi, de gros nuages s'étaient accumulés sur la plaine et qu'il commençait à pleuvoir.
Elle était déçue mais elle n'avait rien perdu de sa lucidité. Il lui fallait trouver un abri, autrement sa toile aurait été toute mouillée.
Elle devait rejoindre une espèce de chalet qu'elle avait vu au cours de l'après-midi... ce n'était pas très loin...allez, une dernière course et la voilà à l'abri!
La porte était simplement poussée, elle ouvrit et entra. C'était bon, maintenant elle pouvait se reposer... demain, allez, on cherchera de nouveaux horizons, d'autres prairies, d'autres rencontres. Se rendre: jamais!
Elle s'endormit... elle rêvait de guerriers peaux-rouges et de batailles... elle rêva de villages, de troupeaux de buffles, de clôtures, d'aubes et de crépuscules; de l'air chaud du jour et du vent frais de la nuit... elle rêvait.


XII

Elle rêvait. A un moment donné, elle perçut une sensation de chaleur qu'elle n'avait jamais éprouvé auparavant. C'était une chaleur qui envahissait tout son corps et qui la transformait. Une chaleur qui partait du dossier, descendait vers le siège et du siège, encore plus bas, jusqu'aux jambes. Son corps se métamorphosait... le dossier était devenu plus fort, plus solide... un cou très beau et maintenant, apparaissait une magnifique crinière grise... presque blanche! Le siège s'était arrondi, il était devenu un dos robuste qui aurait pu supporter n'importe quel guerrier apache... et les jambes... les jambes... autre chose que quatre petites pattes en bois! Les jambes se transformaient en quatre jambes fortes, très longues et élégantes. Elle secoua la tête et hennit. Un hennissement qui s'entendit dans toute la plaine, un hennissement qui retentit dans toutes les vallées avoisinantes, et même au-delà, jusqu'à la ville. Tout le monde fut réveillé, quelqu'un eut même peur. Flèche au contraire, se sentait... comment dire ? Libérée!
Elle sortit de la baraque, elle frappa du sabot par terre... et toute la terre retentit; elle se dressa sur ses pattes postérieures et lança un nouvel hennissement... c'était un hennissement de joie mais pour certains, il raisonna comme un cri de guerre. Les nuages avaient disparu; des étoiles très lumineuses brillaient dans le ciel; Flèche se lança au galop vers la constellation de l'arc; il lui semblait qu'elle pouvait la rejoindre d'un bond. Et alors, elle sauta! Quelle force! Quelle légèreté! Elle sentit qu'elle se soulevait... légère, très légère... oui, mais avec cette légèreté qu'elle avait toujours ressenti au plus profond de son âme.

Son bond était entrain de traverser tout le ciel. Et tous la virent... tous!
Les chevaux de la plaine, qui s'abreuvaient dans la courbe du fleuve, la virent.
Les petits animaux du bois, qui n'avaient même pas fait attention à elle, la virent.
Rocky, Cirrus et Beba la virent.... et les ânes, et les moutons et même les bergers.
Les chiens de l'élevage la virent et, ils comprirent et ils furent pris de terreur.
Le Rouquin, les oies, la truie, la vache qui venait d'avoir son petit veau et qui savait que dans quelques semaines on le lui aurait enlevé, la virent... et les mouches et les taons la virent aussi.
Le faucon et les rats d'égout qui étaient sortis lorsqu'ils avaient entendu le hennissement, la virent.
Les animaux du cirque la virent aussi: l'éléphant et les tigres et les chevaux lipizans qui ce soir-là n'avaient pas reçu tant d'aplaudissements que ça, et le paon, qui resta interdit, le bec ouvert, à gargouiller encore une fois.
Les passants qu'elle avait rencontré dans les rues de la ville, la virent.
L'avocat, ses enfants, Madame et Martine la bonne, la virent depuis leur maison de Ligurie et aussi, les cinq autres chaises du salon, la virent par la fenêtre à travers laquelle Flèche avait fui.
Tous comprirent à ce moment-là que près d'eux, ce n'était pas une quelconque chaise qui était passée, était passée une chaise avec une âme, avec un rêve et avec la force de croire dans son rêve, et de ne jamais le trahir.... Flèche était une chaise extraordinaire... et eux, ils ne l'avaient pas compris...
Flèche regarda en arrière, avant de bondir dans un ultime saut vers les étoiles de l'arc... elle regarda la terre et la plaine et le chalet où elle avait trouvé refuge pour sa dernière nuit de chaise. Elle s'aperçut à ce dernier instant, que là, deux hommes aussi avaient trouvé refuge... deux bergers? Deux pélerins? Deux vagabonds?
Qui qu'ils aient été, ils avaient froid et ils se réchauffaient au coin du feu... et dans le feu, brûlait une vieille chaise.

Luigi Alcide Fusani



[1] Regardes un  peu qui voilà. Il barule toute la nuit et puis, quand il a fait ses affaires, le voilà qui se pointe, ct'espèce de bâtard
[2] Qui a porté c'te cadière ici ?

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