mercoledì 11 luglio 2012















CE QUI RESTE DES SONGES






Ce qui reste des songes
(Manifeste)





Le théâtre que vous attendez, comme une totale nouveauté, ne pourra jamais être le théâtre auquel vous vous attendez.
En effet, si vous attendez un nouveau théâtre, vous l'attendez nécessairement dans le cadre des idées que vous avez déjà; et en outre, quelque chose que l'on attend, existe déjà d'une certaine façon.
Mais les nouveautés, mêmes totales, ne sont jamais idéales, elles sont toujours concrètes. Aussi, leur vérité et leur nécessité ne se connaissent pas ou ne se discutent pas en se reportant aux vieilles habitudes.
Aujourd'hui donc, vous tous, vous attendez un théâtre nouveau mais vous tous, vous avez déjà en tête une idée, née au sein du vieux théâtre.
Aujourd'hui au contraire, ce qui est en cause, c'est le théâtre lui-même: aussi, paradoxalement, l'objet de ce manifeste sera le suivant: le théâtre devrait être ce que le théâtre n'est pas.


Quels sont les destinataires du nouveau théâtre
Les destinataires du nouveau théâtre ne seront pas les gens qui forment généralement le public du théâtre. Ce seront au contraire, les quelques milliers d'intellectuels de n'importe quelle ville dont l'intérêt pour la culture est sans doute naïf mais réel.
Ces quelques lignes sont le premier propos révolutionnaire de ce manifeste. Elles signifient en fait, que l'auteur d'une pièce de théâtre n'écrira plus pour le public qui depuis toujours est le public du théâtre, qui va au théâtre pour se divertir, et qui en est parfois scandalisé.
Les destinataires de ce nouveau théâtre ne seront ni divertis ni scandalisés.



Le théâtre de mots
Le nouveau théâtre n'est ni un théâtre académique ni un théâtre d'avant-garde.
Il ne s'inscrit pas dans une tradition. Tout simplement, il l'ignore et la dépasse, une fois pour toutes.
Le nouveau théâtre se veut définir, même banalement, "théâtre de mots".
Son incompatibilité, que ce soit avec le théâtre traditionnel ou avec n'importe quel type de contestation du théâtre traditionnel est par conséquent contenue dans cette autodéfinition.
Il ne cache pas sa référence explicite au théâtre de la démocratie athénienne, sautant complètement par-dessus toute la tradition moderne du théâtre de la renaissance et de celui de Shakespeare.
Venez assister aux représentations du "théâtre de mots", avec l'intention d'écouter plus que de voir; cela sera nécessaire pour mieux comprendre les paroles que vous entendrez, et donc les idées, qui sont les véritables personnages de ce théâtre.


A quoi s'oppose le théâtre de mots.
Le nouveau théâtre se définit comme (théâtre) "de mots", pour s'opposer donc:
      I.      Au théâtre du discours, qui implique une reconstruction environnementale et une structure de spectacle, naturalistes, en dehors desquelles, les évènements (meurtres, vols, ballets, baisers, étreintes et apartés), ne pourraient être représentés.
  II.      Au théâtre du Geste et du Cri, qui conteste le précédent, en en éradiquant les structures naturalistes et en en désacralisant les textes: mais dont il ne peut abolir la donnée fondamentale, l'action théâtrale, qu'il porte au contraire, jusqu'à l'exaltation.
De cette double opposition, dérive une des caractéristiques fondamentales du théâtre de mots: soit, (comme dans le théâtre athénien), l'absence presque totale d'action théâtrale.
L'absence d'action théâtrale, implique naturellement, la disparition presque totale de la mise en scène, - lumières, scénographie, costumes, etc; tout sera réduit au minimum indispensable.

Qu'il s'agisse du théâtre du discours ou du théâtre du Geste et du Cri, tous les deux ont en commun la haine du mot. Le premier est un rituel dans lequel le public traditionnel se reflète, en s'idéalisant plus ou moins mais cependant, en se reconnaissant toujours.
Le second est un rituel dans lequel le public traditionnel, se reconnait d'une part comme producteur de ce théâtre, mais éprouve par ailleurs le plaisir de la provocation, de la condamnation et du scandale (à travers quoi, il n'obtient au bout du compte, que la confirmation de ses propres convictions).
Le théâtre du Geste et du Cri a pour destinataire, - même absent, un public à scandaliser (sans lequel, il ne pourrait se concevoir).
Le théâtre de Mots au contraire, a pour destinataires les mêmes groupes culturels de pointe, par qui il est produit.
Dans les spectacles du théâtre de Mots, il y aura surtout un échange d'opinions et d'idées, dans un rapport beaucoup plus critique que rituel.
Le théâtre de Mots est un théâtre rendu possible, recherché et apprécié dans un cercle étroitement culturel; il représente en conséquence, l'unique voie de la renaissance du théâtre.


L'acteur du théâtre de mots
Tout cela impose la fondation d'une véritable école de rééducation linguistique qui pose les fondements de l'art dramatique du théâtre de Mots. Un art dramatique dans lequel l'objet direct n'est pas la langue mais la signification des mots et le sens de l'œuvre.
Un effort total, à la fois de perspicacité critique et de sincérité, qui emporte une révision complète de l'idée que l'acteur a de soi.
Il conviendra donc que l'acteur du "théâtre de Mots", change de nature en tant qu'acteur: il ne devra plus se sentir physiquement, porteur d'un verbe qui transcende la culture dans un concept sacré du théâtre; mais il devra simplement être un homme de culture.
Il ne devra donc plus fonder son art sur la fascination personnelle ou sur une sorte de force hystérique et médiumnique, en exploitant par démagogie, le désir de spectacle chez le spectateur ou en abusant le spectateur à travers l'obligation implicite de le faire participer à un rite sacré. Il devra plutôt fonder son art sur sa capacité à comprendre réellement le texte. Et donc, ne pas être l'interprète, porteur d'un message qui transcende le texte mais, le véhicule vivant du texte même.
Il devra se faire transparent par rapport à la pensée: et il sera d'autant meilleur qu'en l'entendant dire le texte, le spectateur comprendra que lui, a compris.



1.

Je m'étais réveillée et je ne reconnaissais rien.
Je ne reconnaissais pas le lit; je ne l'avais jamais vu, avant.
Je ne reconnaissais pas la fille qui était près de moi et qui me parlait… elle disait qu'elle s'appelait Stella et qu'elle était ma sœur, mais moi, je ne l'avais jamais vue. Elle m'effrayait. Elle m'étreignait, elle me touchait, elle me demandait: "mais que t'est-il arrivé cette nuit ?"
Moi, j'appelais à l'aide, je voulais m'en aller, je voulais fuir.
Stella était très belle, sa peau était délicate, ses cheveux formaient une onde élégante et négligée qui retombait jusqu'au dessus de l'œil. Son corps était recouvert d'un vêtement de soie blanc.
Et moi, j'étais couchée dans un lit…, un lit qui ressemblait à une nacelle d'or
Stella m'interpelait: " Assez Rosaura, tu as toujours été saine d'esprit, maîtresse de toi, une fille comme moi, comme toutes les autres…voilà vingt ans que tu dors dans ce lit… tu dois en finir avec cette histoire.". Elle me parlait de mon père, de ma mère; elle disait que nous étions riches, que notre père possédait tant de terres aux environs de Madrid, qu'on aurait pu y construire une deuxième Madrid… Mais moi je n'en savais rien, je ne reconnaissais pas le lin de ces draps-là, je ne reconnaissais pas les rideaux aux fenêtres ni les tapis sur le sol. J'étais étrangère à tout. Tout ce que je voyais ne m'appartenait pas, parce que je ne connaissais ni la richesse ni tout ce qui est lié à la richesse. Tout cela me semblait être un songe mais Stella soutenait que ce n'était pas un songe…

Elle me proposa de faire comme si on jouait. "Fais comme si tu ne savais rien du monde où tu t'es éveillée ce matin. Fais comme si tu ne savais rien du monde dans lequel tu vis. Moi, je feindrai de devoir t'expliquer tout cela, parce que personne ne viendra jamais te libérer…même si tu appelais à l'aide jusqu'à demain….et moi je ne pourrai pas ne pas être ta sœur, même si tu devais le nier jusqu'à ta mort... pareil pour cette maison, notre père, notre mère, notre frère Pablo. C'est pour cela que tu dois feindre et écouter toutes les explications que je te donnerai, comme dans un jeu".

Moi je ne voulais rien savoir, je ne voulais rien apprendre; je voulais simplement retourner là où était ma vraie place.
Mais ma sœur prit une bague qui se trouvait sur la table de nuit. Une bague en or, ancienne, que notre mère avait héritée de sa mère, qui elle-même l'avait hérité de sa mère, de mère en mère…
"Rosaura, la première chose que tu as toujours faite, chaque matin, est d'enfiler cet anneau à ton, doigt. Enfile-le".

Un mois plus tard, j'étais allée au Prado, avec ma sœur.
Lorsque nous rentrâmes à la maison, ma mère était entrain de parler avec une amie. Elles parlaient de politique, des privilèges…elles évoquaient l'époque de la guerre civile, de Franco, des catholiques, des bourgeois, des industriels…, elles parlaient des juifs et de Himmler, qui aurait mieux fait de les tuer tous.
Tout d'un coup, on annonça la visite d'un monsieur, "un homme de noble aspect".
On lui donnait environ cinquante ans. Il avait été absent de l'Espagne depuis longtemps. Il dit que les flics l'avaient fait passer cette fois, va savoir pourquoi… oui, il dit vraiment "flics"… une petite provocation.
Il ajouta que lui aussi était noble, bien qu'il eût un peu de sang juif. De religion catholique cependant et bourgeois de culture. Il était parfaitement en règle.
Il parla longtemps. Un discours amer et spirituel à la fois. J'ai le diable aux trousses, dit-il. Il parla de ses amis connus et exilés: Machado, Unamuno, Rafael Alberti… de Buñuel et du surréalisme.
Il raconta comme il avait vu l'Espagne d'avion… il dit des phrases que je n'oublierai jamais: "et ainsi, je pleurais comme un poète, le long des rives du Douro. Mon âme pendait comme les pans d'une chemise, hors du pantalon…"
Il disait qu'il avait vécu toute la vie en s'amusant. Il avait vécu un peu partout, en globe-trotter. Il aurait pu devenir ministre et au lieu de cela…
Il me semblait qu'il avait vécu une belle vie, pleine de voyages, de belles amitiés, avec beaucoup de légèreté.
Il me regarda et me dit que j'avais le petit museau désespéré d'un renard.

Il me sembla qu'il me caressait en me disant: "tu vois Rosaura, celui qui gagne est un sot mais aussi, perdre tout le temps est un grand malheur". Il s'appelait Sigismond.
Cette nuit-là, je fis un rêve étrange. Je me trouvais à l'intérieur du tableau "Las Meniñas" de Velàsquez. Je portais un corset étroit et allongé et, une jupe baroque avec deux bosses sur les côtés. Mon père était habillé en roi et ma mère, en reine. Ils disaient des phrases étranges:
"L'amour est impensable, sans sens social",
"La naissance, quelle extraordinaire source de droits et de connaissance",
"Reconnais ta vie dans celle des autres, Rosaura, e tu verras qu'elle sera vraie. Aies les amours que les autres ont et tu verras qu'ils ne se distingueront pas de la vie",
"Courage, Rosaura, avoues à ton père que tu es amoureuse de Sigismond. C'est seulement si tu avoues l'inavouable que nous pourrons te parler et te persuader de ta trahison, en te reniant".
"Le pouvoir dialogue avec ceux qui lui appartiennent; le pouvoir peut être bon, et même, il doit être bon".
Mais moi, je me taisais. Alors, mon père dit: " Donc, tu ne veux pas avouer. Nous pourrons te convaincre que ce Monsieur Sigismond; que tu aimes, ne peut être aimé par toi, parce qu'aucun sens social ne pourra jamais contenir cet amour: En fait Sigismond est un antifasciste qui a vécu en exil, fiché, surveillé chez lui, un être contaminé par la pauvreté, qu'il défend en trahissant la richesse et que, comme ta mère l'a dit en parlant des juifs, les autorités feraient bien de coller au mur.

Je me réveillais dans un lieu que je ne comprenais pas, un couvent, une maison de soins, un asile d'aliénés.
Il y avait un jeune médecin qui était amoureux de moi.
J'aimais un bourgeois raté et un autre bourgeois raté était amoureux de moi.
S'il travaillait dans un asile d'aliénés, c'était parce que en réalité, il y était enfermé, isolé, exclu lui aussi, comme moi. Un autre vaincu.
Nous, nous étions marqués du sceau de la défaite, dès la naissance. La naissance est tout.
Le jeune médecin qui était amoureux de moi, n'eut jamais le courage de me déclarer son amour.
Il me parla une fois, une fois que je pleurais; je pleurais et je protestais que mon corps n'était pas une chose, qu'ils ne pouvaient pas le poser là où ils voulaient. Je protestais que mon corps était sacré, parce que c'est grâce à lui que je vis.
Il me dit: " pauvre Rosaura, c'est justement parce que vous avez un corps, que vous pouvez être notre bouc émissaire. Ne blâmez pas votre père. Il a le droit de vouloir se libérer de vous et de vivre en commun avec les autres pères espagnols, le présent et la tradition, sans contradictions. Je collabore avec  lui, à sa ségrégation, dans laquelle vous êtes réduite au silence: corps, chose."
Ensuite il me rendit ma liberté; il ouvrit les portes de la prison, me fit retourner dans le monde.

J'arrivais à la maison de Sigismond. Il m'accueillit d'une voix douloureuse. Il avait perdu toute sa légèreté. Il parla: "dans les billets que tu m'as écrit, au début tu avais des expressions d'admiration quasi filiale. Puis peu à peu, ils sont devenus de véritables messages d'amour. Maintenant je peux te parler parce que, d'avoir été offensée te donne des droits.
Rosaura, non seulement je ne peux pas t'aimer mais toi non plus, tu ne peux m'aimer.
Il observa une longue pause avant de reprendre.

"Tu as entendu dire qu'il y a eu une guerre civile en Espagne… dans cette guerre, j'étais aux côtés des pauvres contre les riches, avec les ouvriers et les paysans, contre les prêtres er les bourgeois. Ca a très mal fini pour nous…
Ta mère et moi, fréquentions la même école et nous étions fiancés, par jeu, mais notre amour était réel. En plus de nous aimer, nous avions alors, les mêmes idées politiques. Nous étions deux fiers républicains, les anarchistes et les communistes étaient nos frères. J'étais jeune mais je savais me servir d'un fusil, j'ai tiré contre la Phalange. J'écrivais des lettres d'amour, comme un soldat en guerre à sa fiancée. Parce que la guerre divise toujours, son véritable but semble être de diviser les gens qui s'aiment.
Puis, tout finit, avec notre défaite… j'aurais pu rentrer à Madrid, être pardonné, reprendre mes études, revoir ma fiancée. Je ne l'ai pas fait. Je n'ai plus jamais revu ta mère. Une autre guerre a éclaté et s'est terminée. J'ai survécu une deuxième fois et par faute d'une terrible nostalgie, je suis retourné incognito, en Espagne. Dans le vieux Madrid, j'errais seul, comme un bouc émissaire ayant échappé à la hache. Qui pouvais-je chercher, sinon ta mère? Je l'ai retrouvée… mais qui ai-je retrouvé à la place de ta mère ?.. Une femme inconnue, ses quinze ans de plus étaient un siècle d'ordre et d'ennui. Ta mère, qui avait haï Franco, lorsqu'il avait débarqué en Andalousie, l'aimait maintenant.
Lorsque je l'ai retrouvée ainsi, je l'ai violée. J'ai imposé mon corps à ta mère, par haine et par vengeance ou peut-être par un amour qui ne voulait plus être nommé ainsi.
Cela n'a pas empêché qu'il en naisse un enfant.
Je t'avais avertie que cette histoire te laisserait comme perdue dans le noir.
Je t'avais avertie que la douleur aurait étouffé la joie et la joie, la douleur.
Cet enfant c'est toi et je suis ton père.
Je devais te raconter cette histoire, je devais… les devoirs ne sont que des digues, contre la réalité…même si souvent, elles sont parfaitement inutiles.
Il n'y a plus rien à dire. Tu es libre de ne plus m'aimer… ou bien même de m'aimer encore.

"Je voudrais l'aimer encore".


2.

Je m'étais réveillée et je ne reconnaissais rien.
Je ne reconnaissais pas le lit; je ne l'avais jamais vu, avant.
Je ne reconnaissais pas la fille qui était près de moi et qui me parlait… elle disait qu'elle s'appelait Carmen et qu'elle était ma sœur, mais moi, je ne l'avais jamais vue. Elle me faisait peur. Elle m'étreignait, elle me touchait, elle me demandait: "mais à quoi as-tu rêvé cette nuit ?"
Moi, j'appelais à l'aide,  je voulais m'en aller, je voulais fuir.
Carmen était très belle, sa peau était brune et pourtant diaphane. Ses cheveux sauvages retombaient jusque sur ses yeux. Elle portait un vêtement orange, très mignon, qui la couvrait à peine.
Et moi, j'étais dans un lit…, un lit avec un petit matelas dur et de vieilles couvertures grises, toutes sèches de sueur et de poussière.
Carmen m'interpelait: " Allez, Rosaura, voilà trente ans que tu dors sur ce pageot… arrête de nous casser les burnes.". Elle parlait de mon père qui était un vieil ivrogne, de ma mère, qui était toujours en furie, elle disait que nous étions des pauvres diables, que notre père, avant de devenir un saoulard, avait été manœuvre, que nous avions huit frères qui étaient partis travailler dans les mines, en France et en Allemagne; heureusement, de cette façon nous n'avions plus à les entretenir, nous…, mais moi je n'en savais rien, je ne reconnaissais pas la toile déchirée de ces draps-là, je ne reconnaissais pas la poussière sèche de ces couvertures. J'étais étrangère à tout cela…, tout ce que je voyais ne m'appartenait pas, parce que je ne connaissais ni la pauvreté ni tout ce qui était lié à la pauvreté qui régnait là-dedans  et. Tout cela me semblait un songe. Mais Carmen soutenait que n'était pas un songe…
Elle me proposa de faire comme si on jouait. "Fais comme si tu ne savais rien du monde dans lequel tu t'es réveillée ce matin. Fais comme si tu ne savais rien du monde dans lequel tu vis. Moi, je feindrai de devoir t'expliquer comment tout fonctionne, parce que personne ne viendra jamais te libérer…même si tu appelais à l'aide jusqu'à demain….et moi je ne pourrai pas ne pas être ta sœur même si tu devais le nier jusqu'à ta mort... et pareil, pour cette maison, que nous appelons le cloaque, notre père, notre mère et tout le reste. C'est pour cela que tu dois feindre et entendre, comme dans un jeu, toutes les explications que je te donnerai.".
Moi, je ne voulais rien savoir, je ne voulais rien apprendre, je voulais seulement retourner, là où était ma vraie place.
Ma sœur prit la cuvette qui était sous la table de chevet, une vieille cuvette toute cabossée, avec des rayures de saleté dans le fond. Une cuvette que notre mère avait achetée, un été, chez un marchand ambulant qui avait une petite charrette blanche en bois, et une figure d'enfant tzigane qui chantait.
"Rosaura, la première chose que tu fais le matin, en attendant des clients, est de te laver les fesses dans cette cuvette blanche toute cabossée. Qu'est-ce que tu attends ? Lave-toi".

Un mois plus tard, j'étais là, dans ma baraque, à attendre les clients.
Tout d'un coup on entendit un boucan… un bordel…
C'était une bande d'adolescents qui devaient avoir tous entre 16 et 17 ans
L'un d'entre eux était récalcitrant… " Maudits, laissez-moi, laissez-moi, je ne veux pas entrer!".
"si tu ne veux pas entrer, ça veut dire que tu es puceau ou bien tu es pédé".
"si tu ne veux pas entrer, ça veut dire qu'aujourd'hui, tu t'es branlé; tant pis pour toi".
Ils le poussèrent à l'intérieur et fermèrent la porte. Désespéré, il se mit à la frapper de dedans. Il hurlait: "Laissez-moi sortir! Ouvrez la porte!".
Lorsqu'on ne les entendit plus, il se tourna vers moi et me dit: "dis-leur qu'ils m'ouvrent, dis-leur toi, je t'en prie… dis-leur que tu ne veux pas, dis-leur que je suis trop jeune… s'il te plaît, aide-moi… je te paierai quand même."
Je n'avais pas la clé de la porte, je n'étais pas libre. Si j'avais été libre, je ne me serais pas trouvée là.
Je le lui dis mais il insistait à vouloir partir et ne pas vouloir rester avec moi.
Je lui demandai, pourquoi ? Je te fais peur ? Je te dégoute ? Tu aimerais mieux que je sois plus jeune et plus belle ? Il essaya d'être gentil et me dit qu'il me trouvait jeune et belle. J'aurais pu être sa mère et, comment pouvais-je être belle en étant enfermée là-dedans toute la journée, comme une chienne attachée dans un chenil ? Je le lui dis. Nous commençâmes à parler. C'était son anniversaire et c'était son cadeau, de la part de ses amis. Ils l'avaient poussé là-dedans, pour le dépuceler.
Il venait certainement d'une famille riche. Il était mignon. Les cheveux châtains dorés, le regard à la fois furieux et doux. Il n'avait même pas un poil de barbe. La bouche d'un petit poisson, la lèvre du haut charnue et proéminente. Il ne ressemblait pas à un petit monsieur. Il avait le visage des pauvres. Sauf qu'il se peignait un peu plus soigneusement.
Il disait que toutes ses copines de classe étaient amoureuses de lui…  c'était sans doute vrai..
A un certain moment, il commença à me raconter sa vie. Il me dit qu'il avait décidé de son destin. Il voulait quitter l'école et sa famille. Il regardait souvent les bateaux à quai dans le port de Barcelone; prêts à partir. Il parlait de nous, les exclus…, nous avec nos yeux trop noirs et nos caractères de gitans… nous, trop noirs et trop pauvres. "Il s'en faut peu, qu'ils viennent ici, nous mettre des uniformes, comme dans un lager, un asile de fous, une prison..". Il me parla d'un de ses amis qui était en taule. Un type qui aimait les enfants. Un type comme Socrate.
Il voulait lui aussi, devenir l'un des nôtres, un pédéraste, un fou, un délinquant, un andalou, une pute.
Il avait compris quelque chose et il était devenu, lui aussi un danger.
Nous sommes les boucs émissaires de cette Espagne stupide et misérable. Nous sommes en prison parce que nous avons un corps. Sans corps il n'y aurait ni honte ni souffrance ni mort.
Il se vantait d'avoir lu des livres difficiles: Marcuse, Malcom X, Carmichael…
Il demandait: " Que doivent faire aujourd'hui, les pédérastes, les fous, les andalous, les putes, les femmes?".
Il me le demandait à moi mais, qu'est-ce que j'en savais, moi? Je savais seulement que j'étais entrain de tomber amoureuse de lui.

Les autres revinrent le chercher. J'étais prête à dire qu'il l'avait fait et qu'il en avait une grande, belle et dure mais lui, ne voulut pas que je dise quoi que ce soit. J'avais mal au cœur de le quitter. Il me promit de revenir. Il me donna sa parole. Il me laissa seule et désespérée. Je ne savais pas où il habitait, je ne savais pas où il allait. Je ne pouvais rien faire.
Les autres revinrent le chercher. J'étais prête à dire qu'il l'avait fait et qu'il en avait une grande, belle et dure mais lui, ne voulut pas que je dise quoi que ce soit. J'avais mal au cœur de le quitter. Il me promit de revenir. Il me donna sa parole. Il me laissa seule et désespérée. Je ne savais pas où il habitait, je ne savais pas où il allait. Je ne pouvais rien faire.

Peu après, ma sœur entra. Elle m'interrogeait et riait comme une imbécile. Elle me posait des questions sur le garçon. Elle voulait savoir si nous avions fait l'amour. Si nous l'avions fait vraiment.
Elle riait et voulait savoir à quoi ressemblait son affaire. Je lui répondis qu'il l'avait longue et dure comme une épée mais délicat comme une fleur et qu'à le toucher on aurait dit de la soie…
Elle riait et voulut savoir si j'étais tombée amoureuse. Je répondis, "amoureuse, un peu, oui, qu'y a-t-il de mal à çà ?".
Elle riait encore et me demanda s'il devait retourner. Celui qui a été une fois avec moi, y revient. Moi, je les travaille comme il faut…
Elle riait. Des larmes commencèrent à me venir aux yeux.
Cette nuit-là, je fis un rêve étrange. C'était dans une grande pièce vide; peut-être l'atelier d'un peintre dans un palais antique. Il n'y avait qu'un seul personnage, un roi, qui se reflétait dans un grand miroir. Puis deux hommes entrèrent. L'un venait d'une pièce obscure, l'autre d'une pièce pleine de lumière.
Le roi dit: "Qui sait si l'ancienne loi prévaudra encore…, la loi qui dit que l'amour dure plus longtemps que le sommeil. Qui sait ? Allez, allez et défaites les liens de l'existence, distribuez les ténèbres et la lumière à parts égales, donnez de la joie et de la peine. Faites donc le bien en faisant le mal et faites le mal en faisant le bien".

Ce même jour, je reçus la visite du curé de la paroisse: il commença tout de suite par me demander des explications sur mes yeux rougis. Je tentais de lui servir quelque boniment mais sans grande conviction. Il me dit qu'il n'était seulement là, que pour m'aider. Sa présence me gênait. Mais lui insistait: "Ce que je dois vous dire, concerne vos yeux rouges, je vous aiderai, même si vous ne le voulez pas". J'écoutais en pensant que je ne lui aurais dit la vérité, que seulement si cela devait me convenir. Il me réprimanda gentiment… Je ne fréquentais pas l'église, ma sœur au contraire… il n'y avait pas d'office qu'elle aurait raté. Il était habile, ne pouvant m'embobiner en me prenant à rebrousse-poil... il tentait de m'embobiner en douceur.

Puis, il en vint au fait.
"Carmen est venue chez moi et elle m'a dit que l'autre jour tu aurais… fait l'amour…
Avec un certain Pablo… un lycéen…
Alors... tu acceptes ou non, de me dire la vérité ?"
J'opinais: " c'est vrai, j'ai fait l'amour avec lui".
"Et maintenant tu as les yeux rougis… parce qu'il ne revient pas…
Je suis ici pour t'apprendre une nouvelle qui te donnera beaucoup de joie, beaucoup de peine… et tu en resteras muette dans une grande confusion. Et c'est pour cela que tu as besoin d'aide…
De toutes façons, saches que si Pablo ne revient pas, cela ne dépend ça n'est pas de sa propre volonté."
Cela me suffisait déjà... il me suffisait de savoir qu'il aurait voulu venir… Ca me suffisait.
Il renouvela sa demande: "Vraiment, tu as fait l'amour avec lui ?"
Je tentais de mentir à nouveau... mais bientôt, je dus admettre: "Non. Nous n'avons pas vraiment fait l'amour… mais s'il revenait, je le ferais certainement, et je ne lui demanderais même pas un sou, je le ferais gratis, chaque fois qu'il le voudra et même, je le paierai moi, s'il en avait besoin…
Il fit une très longue pause
" Il ne reviendra pas. Mais même s'il devait revenir, tu ne devras pas faire l'amour avec lui.
Cette histoire, cette fable terrible, a commencé il y a seize ans.

Tu étais une enfant lorsque tu as connu Sigismond… Sigismond avait vingt ans… il n'avait encore tué personne… maintenant il est en prison, la tête rasée et le corps plein de balafres et de cicatrices… c'est lui qui t'a fait un fils…
Un fils mâle, aux yeux châtains et des cheveux aux reflets d'or.
Tu l'as vu à peine… tu n'as même pas  eu le temps de savoir comment il s'appelait…
Moi, je ne veux pas juger tes bonheurs ou tes malheurs. Je dis seulement ce qui est.
Tu as été violentée par un garçon, sans le haïr
Tu as mis au monde un fils et tu l'as perdu, sans protester,
Tu as pleuré en silence, sans déranger personne,
Peu à peu tu as tout oublié, sans avoir honte,
Moi, je ne veux porter aucun jugement, pas même sur ta mère ni sur ta sœur …
Ta mère et ta sœur savent faire des mauvaises actions… elles essayent de se défendre, les pauvres.
Au cours de toutes ces années, tu as cru avoir perdu un fils…
Ton fils, au contraire, a vécu dans une belle maison, dans la plus belle rue de Barcelone…
Là, il a vécu riche et puissant.
Ta mère et ta sœur exigent de l'argent des personnes qui l'ont adopté… pas beaucoup, en vérité…
Elles ont toujours eu peur que toi, que toi… si tu avais su…tu n'aurais pas marché… et tu aurais fait tout capoter.
Elles ont suivi la vie de Pablo, pas à pas… elles ne l'ont jamais perdu de vue…
Et c'est moi qu'elles sont venues trouver… maintenant, maintenant que tu l'as connu.


3.

Je m'étais réveillée et je ne reconnaissais rien.
Je ne reconnaissais pas le lit; je ne l'avais jamais vu, avant.
Je ne reconnaissais pas la fille qui était près de moi et qui me parlait…elle disait qu'elle s'appelait Agostina et qu'elle était ma sœur, mais moi, je ne l'avais jamais vue. Elle me faisait peur. Elle m'étreignait, me touchait, me demandait: "Mais que t'est-il arrivé cette nuit?"
Moi, j'appelais à l'aide, je voulais partir, je voulais m'enfuir.
Agostina m'interpelait: " Ca suffit Rosaura… hier soir tu étais ici, dans cette maison, avec moi, avec ton mari, avec tes enfants, arrête avec cette histoire". Mais moi, je ne me souvenais pas, je ne connaissais ni mari ni enfants.
Je retombais à nouveau dans le sommeil. D'un seul coup. Ma sœur dit que cela n'avait duré qu'un instant. Elle dit que j'avais fermé les yeux et que je m'étais laissé aller entre les draps, comme une morte. J'étais tombée dans un état qui n'était ni du sommeil ni un évanouissement.
Souvent je rêvais d'être un faucon qui volait au-dessus de l'Espagne, sur les grands champs jaunes, desséchés par l'été… ou bien, je rêvais d'être un petit chat qui miaule, immobile, face à la mer.
Ce jour-là, j'avais fait un nouveau rêve mais je ne m'en souvenais pas.
Je me mis à dire des phrases étranges. Je demandai à ma sœur de m'apporter un oreiller amer et deux draps bouillis, je lui demandai aussi de m'aider à enfiler le plateau, parce que je devais me lever… je parlais d'aigles qui étaient revenus sous le trottoir et de tapis aux fenêtres qui empêchaient l'obscurité, de rentrer.
J'aurais aimé que Basilio mon mari entendit combien je parlais, lui qui se plaignait toujours de ce que je fusse trop silencieuse. Pauvre femme, je ne savais même plus choisir les mots.
Mon esprit était une vraie tour de Babel.

Mon mari et médecin débattaient tranquillement devant moi. De toute façon, je ne comprenais pas.
Le médecin disait: "il est clair que rien ne survient sans prémisses. On pourrait expliquer tout cela par l'aphasie. Mais la vérité, c'est que la bourgeoisie veut éliminer son passé récent. Elle avait besoin d'agneaux révolutionnaires et elle les trouvés parmi ses fils.
Elle les a faits éduquer par de vieux Dieux oubliés et puis, elle les a renvoyés dans le monde, pour tout détruire. Et eux, les fils, ils ont appris, la leçon crétine.
Oui… en bonnes masses petite-bourgeoises, ils ont appris à tout détruire, comme Hitler l'avait déjà appris.
Lorsque tout ce que le pouvoir aura voulu détruire, sera détruit, les jeunes fils auront terminé leur travail.
Quant à notre patiente, laissez-la jouer encore un peu. Son aphasie est une excuse pour ne pas raconter ses rêves. Elle feint de ne pas pouvoir distinguer les noms des choses, simplement parce que les choses sont trop mauvaises. Vivre parmi elles, c'est comme vivre dans un lager".
Mon mari dit sottovoce; "la vérité, c'est que je ne l'aime pas assez"…
"Non, cela n'est pas très grave. Le problème, c'est plutôt que Rosaura ne vous aime pas, ne vous aime vraiment pas, en tant que compagnon petit-bourgeois, adulte, voulu par la société et béni par Dieu".
"Vous devez la guérir et la rendre à la vie! Ma femme doit recommencer à parler la réalité!".
"Nous croyons qu'il est préférable de laisser leur univers aux soi-disant fous, plutôt que de les réintroduire dans celui qui les a exclus. Rosaura a trouvé la manière de désobéir, sans être désobéissante. Elle se remettra à obéir sans être obéissante. Les choses reprendront leur place et leur qualité, parce le dernier mot reste toujours à la raison.
Mais… mais je vous en prie… ne confondez pas sa condition bourgeoise et la réalité.
C'est une identification offensive. Ne confondez pas la parole… avec le silence… ou le hurlement.
Naturellement, quelque temps après, on me ramena chez moi.
Ce fut une fête, une grande fête. "une créature revient dans le monde, le fils prodigue, retourne chez son père". Oui, mon mari commandait avec autorité, comme un père et il avait besoin d'affection, comme un fils. On faisait la fête, on débouchait du champagne… c'est seulement dans un monde injuste que l'on peut rire et connaître la joie de vivre. On trinquait à ma santé, "merci maman d'être revenue dans le lager où nous tous, nous sommes contraints de vivre, en quête du peu de liberté qui nous est consentie".
Maintenant j'avais compris. La véritable grande valeur était justement cette vie humble et obscure que je refusais en tant qu'atrocité bourgeoise.

Justement ce jour-là, dans les rues, on criait. On criait et on tirait, on tirait des coups de fusil et on tuait.
On commença à frapper, on aurait dit qu'on démolissait la porte. "Ouvrez, ouvrez s'il vous plaît, faites-moi entrer, s'il vous plaît…"
Mon mari ouvrit, un jeune homme entra… mon mari soutenait que nous nous étions regardés avec le regard de deux personnes qui se reconnaissent… il fut tout de suite soupçonneux.
Il raconta que la police le poursuivait… la police avait tiré sur les manifestants, les étudiants… quelqu'un était tombé. Il parlait d'une voix rauque et il était très fatigué. Il nous raconta un peu de sa vie. Il avait dix-neuf ans; il venait d'une bonne famille, il était étudiant, il allait à l'université… sciences politiques. Il donnait des leçons de pureté. Il était venu à Madrid, de la province. Il avait honte de puer un peu, comme quelqu'un qui a dormi toute une nuit dans une salle d'attente sans ôter ses souliers et qui a les cheveux durcis de poussière.
Il rêvait d'une lutte dans laquelle les étudiants eussent été aux côtés des ouvriers… et il avait une attitude compréhensive envers les flics adolescents, fils du sous-prolétariat andalou, politiquement plus purs que lui.
Je m'endormis pendant que l'étudiant parlait, et peu après, l'étudiant fatigué lui aussi, s'endormit, là… hirsute et têtu, avec peu de pensées et peu de doutes.
Mon mari se crut trahi… ce fut comme si je m'étais jetée à ses pieds… ou si j'avais fui avec lui. Il ressentit quelque chose de sinistre dans cette complicité d'endormis qui était la nôtre.
Devant l'éternelle victoire des innocents, il mesurait toute la fatigue à devoir défendre sa propre réalité dégradée…
Il balaya rapidement le seul doute qui lui restait. Avertir la police que l'étudiant était ici, ou mieux… mieux appeler le commandement de la Phalange… cet étudiant là était un délinquant politique. Il se décida et composa "simplement" un numéro de téléphone.

A quoi rêvai-je cette nuit-là ?
Je me trouvais dans une de ces lieux… ceux que l'on a vu tant de fois dans les photos qui montrent l'intérieur des dortoirs des lager… les petits lits, les uns dessus les autres… les couvertures laissées par les morts… quelques oripeaux pendus au mur ou abandonnés sur le sol… de pauvres être humains monstrueux, étendus dans ces niches pour animaux, le crâne rasé, les genoux énormes à cause de la fatigue, les yeux dilatés, cernés, avec dedans une lueur misérable, presque un sourire honteux.
J'étais heureuse… j'étais heureuse parce que ma vie ne se déroulait pas dans un palais royal… ni dans une tour, ni dans une maison petite-bourgeoise.
Ma vraie vie se déroule en réalité dans un lager. Dans un froid obscur. Dans cette grande pièce où je suis recluse, dans le peu de soleil reflété par la neige. Dehors les chiens aboient. Sur les châteaux de lits de camps, sont étendus les damnés… les corps blancs comme du plâtre sur les couvertures, grises de poussière gelée. Leurs bras pendent, abandonnés, desséchés. Ils regardent comme des chiens qui ne savent pas pourquoi ils ne peuvent pas bouger. Ils regardent tous vers un point où apparaîtra peut-être quelqu'un qui peut les regarder fort et libre.
Moi aussi je suis là; un squelette blanc sans presque plus de cheveux, dans la niche. J'ai les jambes découvertes. Et moi aussi, je souris. Nous ne sommes plus des humains... nous sommes des choses dont les autres peuvent disposer.
Nous devons faire horreur pour pouvoir être utilisés au mieux par qui le voudra.

Moi aussi je suis là; un squelette blanc sans presque plus de cheveux, dans la niche. J'ai les jambes découvertes. Et moi aussi, je souris. Nous ne sommes plus des humains... nous sommes des choses dont les autres peuvent disposer.
Nous devons faire horreur pour pouvoir être utilisés au mieux par qui le voudra.

C'est l'heure à laquelle on attend. Le soleil, comme tous les jours, allume notre grande pièce, pendant un petit moment. Une nouvelle nuit à vivre, nous attend.
Le patron a décidé notre mort et chacun de nous est sur d'être son préféré.
Peu après, au loin, dans un village, des cloches sonnent. Puis le silence revient. Sur les murs rouillés, persiste une ultime trace de soleil. Puis… le silence. Une demi-heure, une heure... et tout d'un coup... un chant. C'est un chant que nous entendions lorsque nous étions enfants; lorsque l'Espagne était libre.
Ce chant avance, il se fait de plus en plus clair… c'est une marée humaine qui le chante, une marée humaine qui avance et peu à peu envahit le lager. Voilà, les portes sont frappées, et en chantant, ils entrent… ils viennent près de nous, nous étreignent, baisent nos visages décharnés, nous relèvent, nous soutiennent comme des frères, nous donnent des vêtements, nous aident à nous vêtir, nous offrent de la nourriture à manger, nous offrent du vin à boire…
Nous avons des larmes aux yeux et eux, ils pleurent avec nous pendant qu'ils nous étreignent et répètent: "vous êtes libres, vous êtes libres!", comme si nous étions en mesure de comprendre ces mots-là.
C'est un très beau songe, c'est vraiment un très beau songe… même si en ce moment, une véritable tragédie commence. Parce que c'est un songe, il n'y a aucun doute, c'est un songe. Rien d'autre qu'un songe.


Il était une fois un roi, prophète, qui avait lu dans l'avenir que son fils Sigismond l'aurait tué.
Alors, il le fit enfermer et enchaîner dans une tour, l'éloignant de la vie, comme un monstre.
Mais un jour, le roi se repentit. Il voulut tenter une expérience, pour vérifier ses prophéties.
Il fit libérer son fils, après l'avoir fait endormir profondément à l'aide de drogues légendaires et il le fit réveiller dans le palais royal, dans un lit merveilleux, tout de lin et brocards.
Pour Sigismond, c'était un c'était un songe, évidemment.
Dans son rêve, cependant, il vit une femme, dont il tomba amoureux.
Le songe devait prendre fin et de fait, Sigismond fut enfermé à nouveau, rendormi, dans sa tour. Le songe était destiné à finir mais pas son amour. Dans le nouveau songe, un sens persistait.

Qu'est-ce que Calderon a voulu dire par là ?





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